Le bras de fer
A la reprise de l'audience, maître Mirabeau, qui en a
profité pour consulter le bâtonnier des avocats de Paris pendant la suspension, déclare se dessaisir
de l’affaire puisqu'on ne lui donne pas les moyens de défendre son client. Le président ne l’entend pas de cette oreille : il le désigne
aussitôt comme avocat d’office. Fort de ce nouveau statut, Sanjay Mirabeau réitère
la demande d’un renvoi de quelques jours afin de pouvoir étudier un minimum le dossier :
« Je vais
découvrir le dossier comme les jurés et je n’aurai rien à leur apprendre »
proteste-t-il, ce qui a l’heur d’agacer Régis de Jorna, le président :
« Les
avocats qui connaissent le dossier prennent la responsabilité de laisser Ruddy
seul face à une cour d’assise » lui répond le magistrat, tout en ajoutant que la désignation d’office n’empêche en rien « la venue des autres avocats dès le lendemain
matin, s’ils le souhaitent. » Le matin même, il avait pourtant affirmé
le contraire. Maître Mirabeau, exaspéré devant ce qu'il estime être une atteinte aux droits de la défense, prend alors la direction de la sortie mais le président de Jorna le
rappelle fermement :
« Maître,
votre place est ici !».
Il va jusqu’à le menacer de sanctions
disciplinaires s’il franchit le seuil de la porte de la salle d’audience.
« Vous restez et vous vous taisez si vous ne voulez pas lui parler »
lui assène-t’il encore. L’avocat de la défense obtempère et regagne sa place.
Les arts martiaux
Contrairement au premier procès où Ruddy Alexis avait
été entendu seulement une bonne semaine après le début des débats, c’est lui
que le président souhaite entendre le premier. Cette première journée va
tourner autour de sa personnalité et de ses antécédents judiciaires. C’est
monsieur de Jorna qui conduit l’interrogatoire. Il commence par l’interroger
sur sa pratique des sports de combat. Ruddy est quelqu’un de très sportif qui a
longtemps pratiqué différents arts martiaux comme le viet vo dao.
Le viet vo dao, art martial vietnamien
L’accusé
désarçonne par ses réponses, énoncées posément et dans un français impeccable.
Alors que le président l'attend peut-être sur le terrain de la violence, il
explique calmement :
« la philosophie des arts martiaux, c’est d’abord se
vaincre soi-même, savoir contenir ses émotions ».
Il dément en revanche
avoir une passion pour les armes, ni même en posséder. Le président lui oppose
alors les trois condamnations dont il a fait l’objet entre 1994 et 1998 pour
violence à main armée. « Dans un quartier aussi difficile qu’Henri IV, il
faut se faire respecter » tente-t-il d’expliquer avant d'ajouter qu’il a
totalement changé de vie depuis qu’il a rencontré sa compagne et choisi de
fonder une famille. De fait, maître Mirabeau rappelle que malgré cette jeunesse
tumultueuse, il n’a plus fait l’objet de la moindre condamnation entre 2000 et
2009.
Les membres de la famille de Ruddy
Alexis
La première personne à témoigner, depuis la
Guadeloupe, par visio-conférence est la mère de Ruddy, Maguy Alexis, qui, à la
question, quelle profession exercez-vous, répond « femme de ménage ».
Visiblement intimidée, ses réponses sont très laconiques et le président se
trouve contraint de faire plus ou moins les questions et les réponses. Elle se
contente la plupart du temps de ponctuer les phrases du président par un
« exact » ou par un « oui ». Elle explique tout au plus
qu’à l’école Ruddy était plutôt timide mais qu’il ne fallait pas le contrarier,
ce que confirmera un peu plus tard son beau-père, l’homme qui l’a élevé. Son
père, également entendu, n’apprendra pas grand-chose aux jurés, puisqu’il ne
l’a pas vu grandir. A la question de savoir s’il aimait les armes, le beau-père
répond :
«- Oui, il aimait les armes ».
- L’avez-vous déjà vu avec une arme à feu, l’interroge
alors l’avocat général, Philippe Courroye.
- Oui, un fusil à plomb, quand il était jeune. »,
ce que confirmera sans difficulté Ruddy Alexis.
Une personnalité impulsive ?
Le président lit ensuite le rapport de l’enquêtrice de
personnalité, madame Vermorel, qui est empêchée. Ce rapport est
franchement positif. Mme Vermorel le présente comme quelqu’un d’aimant,
s’occupant bien de sa famille, toujours prêt à rendre service.
Au terme des premiers témoignages livrés par ses
proches, la partie civile reprend :
« Monsieur Alexis est calme mais il ne faut pas
le chercher ». Ruddy, mis en demeure de dire ce qu’il pense de cette
assertion commence par reconnaître ses erreurs de jeunesse et répond :
« la maîtrise de soi ne s’acquiert pas rapidement, c’est la pratique des
arts martiaux qui m’a permis d’acquérir cette philosophie. »
La partie civile enchaîne :
« - Votre
beau-père nous a affirmé que vous aimiez les armes.
-
Oui, les armes dont il parle, ce sont celles
enseignées dans les arts martiaux, par rapport à ma pratique sportive. »
Le beau-père n’aura pas l’opportunité de préciser sa
pensée, son passage par visio-conférence étant terminé…
Les armes traditionnelles utilisées dans la pratique du viet vo dao (source : http://www.vietvodao-thanhlong.fr/les%20armes.html)
En fin d’après-midi, c’est au tour de maître Mirabeau
d’interroger son client. Ruddy lui explique être revenu à la religion
catholique, il développe l’importance que revêtent pour lui le bénévolat et la
charité et d’expliquer son engagement associatif. Avec une gêne certaine, il
explique avoir terriblement souffert du décès de son petit-frère, mort du sida
après des années de déchéance physique, à se droguer, se prostituer, etc. «Pour
lui le décès de Didier a été un tournant, revient maître Mirabeau, il l’a vécu
comme un terrible échec.»
La rédaction (un grand merci à Jean-Marc)
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