Une équipe renforcée
Après un week-end qui aura
permis à tous ceux venant de Guadeloupe de récupérer un peu de la fatigue
engendrée par les six heures de décalages horaires, le procès peut reprendre.
Maître Daninthe, avocat guadeloupéen de Ruddy Alexis et maître Edmond-Mariette,
avocat martiniquais et ancien député ont rejoint leurs confrères maîtres
Démocrite et Mirabeau.
Maître Philippe Edmond-Mariette (photo Frédéric Gircour)
Un kit de nettoyage et une cartouchière
La journée commence par un
interrogatoire en bonne et due forme de Ruddy. C’est la partie civile qui
commence avec une série de questions sur les faits qui ont précédé le moment où
Ruddy et les quatre qui sont venus avec lui se séparent. Il refait la
chronologie de cette soirée pas comme les autres. La partie civile veut aussi
savoir comment il explique la présence d’un kit de nettoyage chez lui alors
qu’il affirme ne pas avoir d’arme. Il avait déjà expliqué avoir possédé un
fusil à plombs et redit qu’il l’a vendu il y a longtemps, sans cet accessoire
qu’il a ensuite oublié de jeter. A la même époque, il reconnaît avoir possédé
une cartouchière. « J’ai dû la donner à quelqu’un, je ne sais plus à
qui. »
Eroll Nuissier et le LKP
Errol Nuissier (source : touscreoles.fr)
Vient ensuite le témoignage
d’Errol Nuissier, le très médiatique psychologue clinicien si farouchement anti-LKP, comme
en témoigne par exemple cet extrait de la contribution qu’il a apportée au
Congrès des élus de Guadeloupe :
« Il nous semble que le mouvement social du premier trimestre de 2009
(mouvement LKP ) de par son jusqu’au boutisme, ses slogans et surtout son
incapacité à participer à la vie publique pour faire des propositions et
participer à l’évolution des choses, a exacerbé d’une part la souffrance des
relations interpersonnelles déjà présente dans le pays, a augmenté les
incertitudes et les angoisses des populations les plus fragiles, a accru le
mépris de nous-mêmes, a exacerbé le racisme et la xénophobie et au-delà de tout
cela, a légitimé la libération sans contrainte, ni culpabilité, de la
pulsion de destruction présente chez tout être humain normalement constitué. En
effet, il nous a appris à nous haïr nous-mêmes, à cracher sur nos élus, sur nos
chefs d’entreprise, sur les gens qui sont représentatifs de ce pays et à défier
tout ce qui venait de la France. »
Errol Nuissier et Ruddy Alexis
C’est avec la même retenue, la
même subtilité qu’Errol Nuissier dépeindra Ruddy Alexis, le présentant comme
quelqu’un ayant un « profil psychopatique ». Pour en arriver à cette
conclusion, il aura suffi à monsieur Nuissier de réaliser un seul test :
le controversé test de Rorschach où l’on doit dire ce
qu’évoquent des tâches d’encre symétriques sur toute une série de planches. De
ce test, le psychologue déduit que l’imagination de Ruddy est extrêmement faible,
qu’il manque d’empathie, qu’il a besoin de transformer son image. Il souligne
aussi une difficulté avec la rationalité et conclue donc avec ce
diagnostic : « profil psychopatique ».

L’interprétation
des résultats d’un second test vient, toujours selon le psy, grossir le
trait : le test de Rosensweig, dit « test de frustration ». Ce test se compose d'un livret
contenant vingt-quatre situations frustrantes ou conflictuelles. Il
est présenté sous forme de bandes dessinées. La personne qui réalise le test
doit répondre aux questions. J’ai trouvé cet exemple de question sur
internet :
« Un automobiliste s'excuse de vous avoir éclaboussé, que
répondez-vous? »
Je sais que ce n’est pas moi qui ai à y répondre mais il me semble pourtant
que si tel était le cas, ma réponse pourrait varier énormément selon mon humeur
du moment. A plus forte raison si, en prenant un exemple totalement au hasard, on
me jetait en prison en m’accusant d’un meurtre que je n’ai pas commis, et si,
toujours par exemple on me soumettait au très dur régime psychologique de
l’isolement. Par bonheur, je ne suis ni dans cette situation, ni sommé de
répondre à cette question ; je n’ai donc pas à répliquer que je ferais
probablement manger son volant au conducteur. Revenons
aux interprétations qu’Errol Nuissier tire des réponses faites par Ruddy à ce
test :
Ruddy éprouve une très grande difficulté pour ce qui touche à la
reconnaissance de la responsabilité. Il pourrait parfaitement passer à l’acte
quand il est en situation de victime. Il gère difficilement la frustration et
peut facilement faire preuve de violence.
Les questions de la défense
Les avocats de la défense l’interpellent quand vient leur
tour de l’interroger :
« - Monsieur
Nuissier, combien de temps avez-vous passé auprès de Ruddy ?
-
Environ
une heure.
-
Pensez-vous
qu’on puisse définir la personnalité de quelqu’un de façon aussi arrêtée que
vous le faites en seulement une heure ?
-
C’est le
temps que requièrent ces tests. »
« Si j’ai bien compris ce que vous nous dites, poursuit maître
Mirabeau, il y aurait deux Ruddy
Alexis : un qui cherche à se valoriser, à se faire valoir et un
psychopathe. On connait tous le premier Ruddy, celui qui présente bien, où est
selon vous le psychopathe, où est le monstre ? Je ne sais pas, bat-il ses
enfants, maltraite-t-il sa compagne ? »
La contre-expertise réalisée par son confrère,
monsieur Jacquet, étonnamment entendu par la cour avant la première expertise,
ne retiendra d’aucune façon le caractère psychopathique, même si les deux se
retrouvent sur le manque d’empathie supposé de Ruddy.
A la théorie de monsieur Jacquet sur son supposé manque d'empathie, maître Démocrite avait déjà opposé la réalité des faits : comment M. Jacquet explique-t-il que Ruddy aide régulièrement les personnes âgées de la cité Henri IV en organisant des sorties avec elles au sein de l'organisation la Tyrolienne ? Comment explique-t-il par exemple qu'il ait donné toutes les coupes sportives qu'il a gagné à cette même association ? Comment explique-t-il que tous, comme l'a rappelé l'enquêtrice de personnalité, s'accordent à dire que Ruddy est toujours prêt à rendre service ? Si tout ça, ce n'est pas de l'empathie, alors qu'est-ce que c'est ?
Deux hommes
Vient ensuite le témoignage de
Nébor Bernard, qui le soir du meurtre, se trouvait chez son amie, domiciliée cité
Henri IV. Personnage haut en couleur, monsieur Nébord se présente tout vêtu de
blanc. Quand le président s’enquiert de savoir quel est ce livre qu’il
distingue sur l’écran de la visio-conférence, Nébord lui répond qu’il est venu
avec sa bible pour jurer dessus. Monsieur Nébord déclare avoir vu deux personnes, le tireur
et un autre homme derrière lui qui a désigné sa cible au premier. Le tireur épaulait son arme du côté gauche,
précise-t-il comme plusieurs témoins dans ce dossier. Il se trouve que Ruddy
Alexis est droitier. "Ça ne pouvait être que des militaires, c'était trop bien fait", affirme-t-il. Il raconte comment la BAC a voulu l’obliger à dire que le
tireur est celui qui se trouve aujourd’hui dans le box des accusés. « Moi,
je voudrais me débarrasser de cette affaire et ne plus jamais être
convoqué ! » lâche-t-il en guise de conclusion.
La BAC à la barre
Deux policiers
de la BAC, messieurs Ardoyal et Cloque se présentent eux en chair et en os à la
barre. Ardoyal commence par expliquer que si la grève a duré 44 jours, il y a
eu trois jours véritablement très durs pour eux : les 16, 17 et 18 février
2009. Ils expliquent avoir essuyé des tirs de plombs mais n’avoir jamais perdu
leur sang-froid. « Ce soir-là, il y avait des scènes de pillage, nous
étions au four et au moulin » Il précise aussi que les balles brennekes
dont ils disposent ordinairement leur avait été retirées antérieurement : "Au début de la grève, nous avions des brennekes puis le directeur nous a
demandé de les remplacer par des balles non-létales". Le témoignage de Christian
Cloque diffèrera assez peu de celui de son collègue. Il précise concernant cesoir-là : nous
avons commencé notre service à 21h00 dans deux voitures. La circulation était
très difficile sur notre zone, Pointe-à-Pitre, Abymes, Gosier. Il y avait des
barrages partout. « Les jeunes ont pensé que ces barrages auraient empêché
la police d’intervenir, ils s’en sont donnés à cœur joie. »

© Fabrice ANTERION / MAXPPP
Concernant
les brennekes qu’ils ont rendues, ils seront incapables d’expliquer si ça s’est
fait selon un protocole particulier, si un document a été établi pour notifier
leur remise. Impossible donc de savoir quelle procédure a été suivie, ni même
s’il en reste la moindre trace écrite pour attester de sa véracité.
La
rédaction (un grand merci à Alex)