Dans mon article précédent, je
me suis contenté de vous renvoyer à l’excellent papier de Boris Colombet (1).
Je vais toutefois revenir sur le coup de théâtre qu’a constitué le témoignage
de Cyrille Martinvallet en le replaçant dans son contexte et en apportant un
éclairage sur certains aspects que France-Antilles n’a pas développé. Nous
sommes à la fin des débats. Cette après-midi-là a été presque exclusivement
consacrée à la lecture de pièces du dossier, comme c’est l’usage à la fin d’un
procès d’assise, à la demande de la défense, de la partie civile et de l’avocat
général. De longues heures se sont ainsi égrenées assez peu passionnantes, il
faut bien l’avouer. On était donc loin d’imaginer à la toute fin d’après-midi
qu’on allait assister à un événement qui devait conduire à faire voler en éclat
le dernier atout de poids de l’accusation.
Ruddy Alexis, dans le box, s'entretient avec deux de ses avocats (maîtres Daninthe et Démocrite) pendant une interruption de séance (photo ©FG)
Une accusation qui prend l’eau de toutes parts
Entre autres documents, les
avocats de la défense ont demandé à ce qu’il soit fait lecture de tous les
témoignages des policiers qui se trouvaient à proximité de la cité Henri IV, le
soir du crime. Laborieuse lecture dont le seul but était de mettre en évidence
qu’aucun policier n’avait été en mesure d’identifier qui que ce soit ce soir-là
et encore moins Ruddy Alexis. Ces témoignages sont à mettre en relation avec celui d’un policier entendu à la barre
au début du procès, Jean-Marie Arroyal et qui répondait que, pris à parti par
des jeunes armés qui les « tiraient comme des lapins », ils n’avaient
pu identifier personne, précisant qu’à 50 mètres, ils ne pouvaient distinguer
que des silhouettes, qu’il n’y avait pas l’électricité… De quoi remettre en
cause certains témoignages extrêmement précis, livrés par des témoins, comme
messieurs Forbin et Zenon, qui se trouvaient à plus de 100 mètres du tireur… Concernant Forbin, la
défense aura d’ailleurs beau jeu d’expliquer qu’il s’agit d’un indicateur de
police : « la police l’a appelé le lendemain des faits sur son
portable pour lui demander s’il connaissait l’auteur des faits, c’est dans le
dossier ! » s’exclamera maître Démocrite. Rappelons que tous les
témoins sont revenus sur leurs déclarations, hormis précisément Forbin et son
cousin Zenon dont j’ai expliqué le degré de confiance qu’on pouvait accorder à
son témoignage (2). Ajoutons que les
pièces à conviction ont disparu (3), qu’à aucun moment l’accusé n’a fourni le
moindre aveu, qu’en dépit de ses efforts répétés, l’accusation n’est pas
parvenue à le déstabiliser une seule fois ni à faire apparaître la moindre
incohérence dans ses déclarations. Et concluons le bilan à ce stade du procès
en précisant que la bataille de l’opinion publique, quant à elle, est perdue
depuis longtemps, la couverture médiatique faisant état quotidiennement des
aberrations et de la faiblesse du dossier monté par la capitaine Bonamy (dont
le travail a pourtant eu l’heur de plaire à sa hiérarchie puisqu’elle est
depuis passée du grade de capitaine à celui de commandante…). Sentant donc un
verdict fatalement défavorable aux intérêts de l’Etat se profiler, l’avocat
général a souhaité reprendre la main avant la fin des débats et c’est alors
qu’il va commettre ce que le journaliste de France-Antilles n’hésitera pas à
qualifier de « monumentale erreur stratégique ».
Les fadettes de Nanettes
L’avocat général a en effet
demandé la lecture de la conclusion accompagnant les fadettes (relevés
téléphoniques) d’Eric Nanette, prétexte aussitôt saisi au vol, dans un beau
numéro de duettistes, par le président Fagalde pour rappeler Nanette à la barre
alors qu’il avait déjà livré son témoignage quelques jours auparavant. Eric
Nanette est un employé municipal de la ville de Pointe-à-Pitre, très engagé
dans la vie syndicale et associative, il a des responsabilités au sein de la
CTU (Centrale des Travailleurs Unis) et est président d’une association très
dynamique sur la cité Henri IV, la Tyrolienne, qui se charge de défendre les
locataires et se dévoue pour les personnes du troisième âge. Ruddy Alexis en
faisait partie et depuis son arrestation, les personnes âgées de l’association
prient pour sa libération. Rappelons enfin l’existence du SMS se contentant de
reprendre pour les dénoncer, des propos racistes tenus par M. Huygues-despointes,
béké martiniquais, dans le reportage des Derniers maîtres de la Martinique,
diffusé par Canal+. Le fait que M. Nanette l’ait relayé entre autres personnes
à Ruddy Alexis, aurait constitué, selon le parquet et les avocats de la partie
civile qui n’ont pas peur du ridicule, un appel au meurtre (4)…
Le magistrat demande à Nanette
revenu déposer, s’il a eu connaissance des graves accusations portées contre
lui par Martinvallet et lues depuis à deux reprises. Nanette répondant par la
négative, ce dernier se fait donc un devoir de lui rappeler que Martinvallet
aurait affirmé aux enquêteurs, entre autres choses plus ou moins délirantes, l’avoir entendu dire à d’autres membres de la CTU que c’est Ruddy
qui avait tué Bino et qu’il toucherait un bon paquet d’argent pour ça à sa
sortie de prison. Nanette réfute calmement mais fermement ces accusations. Alex
Lollia manifeste alors discrètement son désir d’être lui aussi entendu à
nouveau, il connait bien Martinvallet et a des choses à dire. La défense
obtient qu’il soit à son tour réentendu.
Un indicateur et un violeur
C’est un Alex Lollia en grande
forme qui se rend à la barre et qui commence par s’étonner de l’absence de
Martinvallet. Le président explique qu’il a été convoqué mais qu’il n’a pas
répondu à sa convocation et qu’on ne l’a pas trouvé. Ayant été dit précédemment
qu’il s’était présenté spontanément auprès des services de polices pour
apporter son premier témoignage, le secrétaire général de la CTU s’étonne du
fait que lorsqu’on ne le convoque pas, il vienne de lui-même et que lorsqu’on
le convoque, il ne vienne pas. « C’est tout de même curieux, ça
non ? » Il rappelle dans quelles conditions la CTU a acceptée de le
laisser dormir dans les ses locaux et s’attire les foudres de M. Tardo-Dino,
l’avocat général, lorsqu’il affirme que Cyrille Martinvallet est un indicateur
de police et un violeur. Sans se démonter, Lollia raconte comment Martinvallet
lui-même s’était ouvert à lui du fait que la police le harcelait pour avoir des
informations sur ce qui se passait à la CTU pendant les 44 jours de 2009. Il
explique aussi qu’il est bien placé pour dire que c’est un violeur, puisque
c’est lui qui, à la demande de sa sœur, l’a orienté vers un avocat de sa
connaissance pour sa dernière affaire de viol. Là-dessus, il propose au
président du tribunal si la police n’est pas capable de le trouver, de le
ramener le lendemain matin, affirmant savoir où il habite, connaissant en outre
les domiciles des cinq, six maîtresses avec qui il a eu des enfants et qui sont
susceptibles de l’héberger. Maître Diallo bondit de son banc :
« suffisamment de témoins ont été intimidés dans ce procès, je vous
interdis de l’approcher ! ». Embarrassé, l’avocat général sera
contraint de lancer le soir même un mandat d’amener et on comprendra le
lendemain quand il sera enfin présenté devant les jurés, pourquoi le parquet
avait mis si peu d’empressement à l’amener ici.
Coup de tonnerre !
Alors qu’il est appelé à la
barre, le policier chargé d’amener Martinvallet vient prévenir le président que
le témoin refuse de témoigner. Le président, l’avocat général, les divers
avocats quittent alors la salle d’audience et visiblement parviennent à lui
faire comprendre qu’il est dans son intérêt de
parler car il finit par se présenter. Le juge commence à relire son
témoignage et lui demande s’il confirme ses propos. La réponse est
laconique :
« - Non .
- Ce n’est pas ce que vous avez déclaré aux policiers qui vous ont entendu ? s’enquiert le président.
- J’ai fait un faux témoignage. »
Et d’expliquer de mauvaise
grâce qu’il a plusieurs grosses affaires au-dessus de sa tête et que les
policiers lui ont demandé de porter ces accusations, en échange de quoi, ses
affaires seraient enterrées. Il affirmera ne pas connaître le nom de ces
policiers, il n’est pourtant pas difficile de savoir qui l’a auditionné,
normalement ça apparait sur le PV d’audition. Enfin, dans une procédure normale, dans ce dossier, on ne peut jurer de rien, peut-être les pages en question vont-elles disparaître à leur tour si ce n'est déjà fait ? Plusieurs fois, on le menace s’il
ne maintient pas sa première déclaration :
« Monsieur, vous
travaillez comme vigile dans la sécurité. Vous savez qu’on ne peut pas exercer
cette profession si on a un casier judiciaire, et si vous êtes convaincu
d’avoir fait un faux témoignage vous aurez un casier. »
Mais contre toute attente,
dans un élan de dignité retrouvée, il ne se laisse pas intimider et maintient
qu’on l’a contraint à faire un faux témoignage, qu’il préférerait aller en
prison que d’y envoyer un innocent.
Les méthodes de la police judiciaire
On lui avait certainement dit
qu’un tas de témoignages accablait déjà Alexis et qu’un de plus, ça ne
changerait pas grand-chose. Il a aussi déclaré que dans un premier temps, c’est
Alex Lollia que les policiers lui avaient demandé d’incriminer et que devant
son refus, ils s’étaient rabattus sur Nanette.
Ruddy Alexis lui aussi a dénoncé
ce genre de pression :
« Ils voulaient d’abord que j’implique les autres témoins, ceux qui étaient venus avec moi puis ils m’ont menacé, fait du chantage : si je n’impliquais pas Eric Nanette comme commanditaire, ma femme irait en prison et ma fille à la DDASS, ils me l’ont répété plusieurs fois. »
Mais lui n’a jamais
cédé à ces pressions. Lorsque le président lui a demandé, à son avis, pourquoi
les policiers auraient voulu faire condamner Eric Nanette, il a répondu :
« Ils ont sans doute voulu impliquer des membres du LKP, enfin c’est une supposition. Ils ont certainement voulu ternir l’image du LKP. »
FRédéric Gircour
(chien.creole@gmail.com)
Que justice soit faite
RépondreSupprimerPfff je ne crois pas à leur justice. .. mais oui j'espère très fort que ce bouc émissaire sorte de ce piège colonial
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