lundi 26 novembre 2012

Procès Bino - 5° Le juge, l'avocat général et les avocats de la défense


Les avocats de la défense(1) ont, à plusieurs reprises, protesté contre la façon dont les débats étaient menés. Le président du tribunal, Pierre Fagalde a même, au quatrième jour, signifié son agacement sur le fait que la défense l’ait mis en cause à plusieurs reprises. Le lendemain, en ouverture d’audience, maître Démocrite voulant selon ses dires dissiper tout malentendu, rappelait son respect pour la personne et la fonction du président et pour la cour, expliquant que ses observations étaient motivées par la seule volonté de garantir la manifestation de la vérité. 


L’oralité des débats

A ce stade du procès, on retiendra surtout deux échanges assez vifs : le premier lorsque maître Démocrite a exprimé son malaise face à la façon dont le président procédait à l'interrogatoire de Forbin, un des jeunes qui accompagnaient Ruddy Alexis le soir des faits. En effet M. Fagalde se contentait de lui lire ses déclarations, préalablement faites devant le juge d’instruction, le témoin n'ayant plus alors qu'à acquiescer. Cette façon de procéder ne peut que nuire à l’oralité des débats, pourtant fondamentale dans un procès d’assises. Il est nettement préférable, du moins est-ce l’usage, d’interroger le témoin, et si les réponses ne correspondent pas aux déclarations faites préalablement, alors là oui, de les lui lire, pour l'obliger à se positionner face à ses contradictions. C’est ce qu’ont expliqué les avocats de Ruddy Alexis, qui ont été entendus, puisque le président a par la suite respecté cette façon de faire.


Clash

En revanche, deux jours plus tôt, cette même défense n'a pas obtenu gain de cause lorsqu'elle a énergiquement protesté contre le fait que la commandante Isabelle Bonamy de la Police Judiciaire, qui a dirigé l'enquête soit entendue sans qu'il soit possible de l'interroger dans la foulée. Le président du tribunal avait en effet estimé qu'il était tard et que la défense pourrait poser ses questions le lendemain. Pour cette dernière, cette façon de faire porte là encore atteinte à l'oralité des débats. Constatant qu'ils n'étaient pas entendus, les avocats de Ruddy Alexis ont choisi de quitter l'audience en signe de protestation. Refusant de céder à la pression, le président a décidé de poursuivre, laissant la commandante Bonamy s'exprimer sans la présence des avocats de la défense. Cette déposition à la barre était pourtant capitale dans ce procès.


Un avertissement

Pire, le parquet a joué dans la surenchère en la personne de l'avocat général(1), Camille Tardo-Dino, qui s'est exprimé sur l'antenne de Guadeloupe 1ère le soir même. Il a en effet expliqué que le fait que les avocats de la défense aient abandonné leur client ne remettait pas en cause la poursuite du procès, citant la jurisprudence de l'affaire Ferrara dans l'hexagone, avant d’ailleurs de se targuer d’avoir déjà procédé ainsi dans cette même cour d'assises l'an dernier avec Hans Peterson. Le prévenu avait récusé son avocat ce qui n’a pas empêché la cour d'aller au bout du jugement.

 L'avocat général Camille Tardo-Dino - Photo FG (archive)

Le parallèle avec cet épisode auquel M. Tardo-Dino fait allusion sans rougir [voir l’encadré ci-dessous] n’avait cependant pas lieu d’être, car en réalité, il n’a jamais été question que les avocats de la défense renoncent à représenter leur client. Comment interpréter alors cette fanfaronnade du parquetier dans les médias, dramatisant à souhait, si ce n’est comme un avertissement pour les avocats de Ruddy Alexis, leur signifiant qu’ils auront beau s’agiter, rien n’ébranlera la détermination du parquet à faire  condamner Ruddy Alexis, avec ou sans la défense. Une façon de montrer ses muscles dans une affaire tendue…


Le bon mot de maître Diallo

Il faut, ceci étant dit, reconnaître au président Fagalde qu’il sait aussi faire preuve d’honnêteté intellectuelle, posant parfois des questions pertinentes que la défense aurait pu elle-même poser, s’étonnant notamment que Prudon, un autre jeune qui accompagnaient Ruddy Alexis en début de soirée, le jour des faits, et qui porte un certain nombre d’accusations contre lui, ait produit des témoignages de plus en plus précis, de moins en moins évasifs, au fur et à mesure des auditions, alors que c’est généralement l’inverse qui se produit. Et puis il y a eu cet épisode mémorable au moment où, après avoir livré mon témoignage, la parole a été donnée aux avocats de la partie civile. Voulant remettre en cause mes propos, maître Diallo m’a interpelé pour me demander si j’ignorais qu’on avait retrouvé des balles brennekes devant le magasin Saudelec. Le président est alors intervenu pour lui signaler que ce n’était pas exact, que ça ne figurait pas dans le dossier. Stupéfaction de maître Diallo qui sans réfléchir s’exclame « mais monsieur le Président, c’est pourtant ce que Mme Bonamy a affirmé hier ! ». Réaction toute aussi spontanée des avocats de la défense, levant les bras au ciel pour dénoncer le résultat du fait qu’elle ait, malgré tout, été entendue en leur absence, et donc sans grand danger d’être contredite sur des points aussi fondamentaux…

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

(1)   Les avocats de la défense sont : maître Démocrite, maître Plumasseau, maître Daninthe et maître de Russy
(2)   L’avocat général représente ici l’Etat, puisqu’il dépend directement du procureur, lequel dépend du ministère de la justice. La (CEDH) Cour Européenne des Droits de l’Homme dénonce d’ailleurs cette entorse à la séparation des pouvoirs, reprochant au parquet à la française, le fait d’être totalement inféodé au pouvoir exécutif…  







D’UN PROCÈS À L’AUTRE

J'ai suivi à l'époque pour Chien Créole le procès Hans Peterson (1), un procès hors-norme, et je tiens à rappeler ici son épilogue peu glorieux. 

Ce jeune Franco-états-unien, était jugé, souvenez-vous, pour l'assassinat de son dermatologue quatre ans après que celui-ci lui eut prescrit un médicament contre l'acné, l'Accutane dont on sait qu'il peut provoquer comme effet secondaire de graves troubles psychologiques conduisant notamment au suicide. On reprochait à Hans Peterson d'avoir porté à sa victime pas loin de 70 coups de couteaux après avoir vainement tenté de lui couper les mains et les pieds avec une scie à métaux... Un crime tellement horrible qu'il n'est pas nécessaire d'être expert psychiatrique pour se rendre compte qu'il n'est pas le fait d'une personne sensée, pour employer un doux euphémisme.

 Hans Peterson - Photo FG

 Son avocat, absolument persuadé de sa folie, a refusé de se rendre complice d'une « carnage»  judiciaire et a donc décidé d'expliquer à la cour pourquoi il estimait que son client était fou et pourquoi, étant fou, il n'était pas en mesure de juger seul de son état mental (les experts psychiatres se partageaient alors entre l'abolition du discernement pure et simple et son altération, mais l'avocat général de l'époque, Camille Tardo-Dino, le même que dans l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui, avait dans son plaidoyer expliqué longuement aux jurés que lui savait ce qu'était un fou et qu'Hans Peterson de toute évidence n'en était pas un...). Le jeune homme a alors dit qu'il préférait ne pas être défendu que d'être "défendu sur la base de mensonges". Selon sa mère avec qui j'ai pu m'entretenir, son fils, dans sa paranoïa aigüe, s'était persuadé que son avocat avait été acheté par la famille du dermatologue, afin qu'il soit placé en hôpital psychiatrique où il serait plus aisé de le faire kidnapper pour l'extrader clandestinement afin de le faire juger aux Etats-Unis... 

Le président, déjà M. Fagalde, comme dans le procès Bino, lui avait alors demandé s'il récusait son avocat et avait alors empêché ce dernier de s'exprimer une dernière fois devant la cour : "vous n'avez pas compris, maître, c'est terminé, vous pouvez rentrer chez vous." Au retour de la suspension de séance, Hans Peterson, sous camisole chimique depuis son incarcération, demandait si son avocat n'allait pas revenir (nous étions au dernier jour des débats), ce à quoi le président au lieu de lui proposer un avocat commis d'office, lui a signifié que non, qu'il l'avait récusé et qu'il devrait donc se défendre seul (2). Après la pause déjeuner, est venu le tour de la défense de déclamer son plaidoyer final, un plaidoyer dont tout un chacun connait l'importance dans ce genre de procès. C'est donc un Hans Peterson bredouillant qui s'en est chargé seul, s'excusant du manque de clarté de ses idées : "j'ai demandé entre midi et deux si on pouvait me donner du papier et un stylo pour ordonner mes idées mais ça m'a été refusé..." 

C’est cet épisode qui n’honore certainement pas la justice française, où les droits de l’accusé ont été bafoués, à laquelle l’avocat général se plait à se référer aujourd’hui… 
(2) Le procès en appel de Hans Peterson a commencé lui aussi ce 19 novembre 2012, mais cette fois-ci à la cour d’appel de Paris. Le même incident s’est produit, Hans Peterson récusant son avocate souhaitant plaider sa folie. L’attitude de la présidente du tribunal parisien a été toute autre que celle de son confrère de Guaeloupe, comme en atteste cet extrait d’un article du journal libération : 

« Pour la défense, en dépit des dénégations d'Hans Peterson, celui-ci est avant tout un malade mental dont la place n'est pas en prison. Plaidant en premier, Me Clémentine Perros a décrit le "délire" et "l'obsession" de l'accusé à l'égard du Dr Cornbleet. (…) Exprimant son désaccord avec les déclarations de son avocate, l'accusé a récusé son deuxième conseil, aussitôt commis d'office par la présidente Jacqueline Audax. "Vous ne décidez pas de tout",  l'avocat "peut être autre chose que le mandataire de votre parole", lui a lancé la magistrate. »
source : 23 novembre 2012, « Assassinat d’un médecin à Chicago, un Franco-américain condamné à 30 ans», Libération (http://www.liberation.fr/depeches/2012/11/23/un-franco-americain-condamne-a-30-ans-de-prison-pour-l-assassinat-d-un-medecin-a-chicago_862628
 

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