Si
les manipulations que j’ai révélées dans les deux premières parties de mon
témoignage montrent à quel point cette affaire est plus complexe qu’il n’y
paraît, le point fort de mon intervention réside néanmoins dans ce que je
m’apprête à dire devant la cour. Avocats de la partie civile et avocat général
ne s’y tromperont pas qui ne reviendront, lors de mon interrogatoire, que sur cette
dernière partie, tentant résolument de la remettre en cause.
Un commando sur place
J’affirme
qu’on a tenté d’étouffer la présence d’un commando sur les lieux ce soir-là.
Quelques dizaines de minutes après le meurtre de Bino, à quelques dizaines de
mètres de là où le tireur a abattu le syndicaliste, une autre victime
s’effondrait de toute évidence touchée elle aussi par une brenneke.
Cela
faisait des heures que des jeunes de la cité Henri IV s’échinaient contre les
rideaux de fer de deux enseignes sur le boulevard Légitimus attenant à la cité.
Quand celui de la bijouterie Tout l’or du monde a cédé, les casseurs se sont
précipités dedans pour rafler ce qu’ils pouvaient. C’est lorsqu’ils sortaient
les mains pleines que quatre hommes à scooter sont intervenus, cagoulés de
noir, vêtus de treillis militaires et armés de fusils à pompe pour les délester
de leur butin. Ils ont dispersé la foule en ouvrant le feu sur un de ceux qui
assistaient au casse, le blessant très gravement à la cuisse. Treillis
militaires, cagoules noires, fusil à pompe, c’est précisément la description du
tireur qui a entraîné la mort de Bino. Je résume pour les jurés : nous
avons donc là des faits qui ont lieu quasiment dans le même laps de temps, dans
le même périmètre, avec deux tireurs présentant la même apparence physique.
J’explique par ailleurs que pendant ces trois jours de violence, les 16, 17 et
18 février, la police et des jeunes ont
échangé à plusieurs reprises des coups de feu. Lors de ces échanges de tirs,
force est de constater que les jeunes ont toujours utilisé du plomb et que la police
a toujours répliqué à la gomme-cogne, une balle en caoutchouc. Sur tout le
territoire de la Guadeloupe, les deux seules fois où des balles létales ont été
utilisées, c’était pour tirer sur le véhicule de Jacques Bino et pour tirer juste
après sur le jeune Jimmy Lautric.
La bijouterie Tout l'or du monde, le 18 février 2009 - © Frédéric Gircour
Déchirez cette plainte que je ne saurais
voir !
Jimmy
Lautric avait perdu quatre litres de sang quand il est arrivé au CHU, amené par
des amis en scooter. Opéré aussitôt, il a été sauvé in-extremis. Il a été
entendu au sortir de l’anesthésie par deux membres de la Police Judiciaire,
encore elle… Lautric a immédiatement voulu porter plainte contre X et les
policiers ont reçu sa plainte, comme il se doit… avant de revenir à son chevet
une demi-heure plus tard. Entre temps, sa mère l’avait rejoint. A la
stupéfaction de la mère et de son enfant, ils ont exigé de Jimmy qu’il déchire
sa plainte. Comme la mère s’y opposait fermement, ils l’ont fait eux-mêmes. Ce
scandale a été révélé par Lise Dolmart, au journal télévisé de RFO, plusieurs
semaines après. Sommé de s’expliquer, le procureur a reconnu les faits et a
expliqué que si sur la forme, les agissements des policiers étaient en effet
discutables, sur le fond, il n’y avait rien d’anormal, puisque selon lui,
la police judiciaire n’était pas habilitée à traiter cette affaire. Sarah
Aristide, l’avocate de Jimmy Lautric me racontera qu’elle aura eu les plus
grandes difficultés pour que la Police Nationale reçoive la plainte…
Incompréhensible
Je
marque une pause et regarde les jurés. « Ce que je n’arrive pas à
comprendre, c’est comment, alors qu’on a une situation explosive, qu’il faut
absolument arrêter un coupable, qu’on n’a aucune piste (on en est qu’au stade
des constatations, Patrice Prixain n’a pas encore été inquiété, Ruddy Alexis
encore moins), on détermine qu’on n’investiguera pas une piste aussi sérieuse. Pourquoi ?
Je pose cette question depuis des années, je l’ai posée au premier procès,
personne n’a pu me fournir de réponse. J’en ai parlé avec la capitaine Bonamy.
Elle m’a répondu avec un petit sourire qu’une balle dans la cuisse ne
constituait pas une tentative de meurtre et que donc la PJ n’était pas
habilitée à s’occuper de cette affaire. Mais si ce n’est pas pour elle-même que
cette affaire aurait dû intéresser la Police Judiciaire, ce qui, à mon sens est
en soi plus que discutable, c’est en avant tout pour sa relation à l’affaire
Bino que la PJ aurait dû s’en saisir!
De
cela il n’a jamais été question. Une information a finalement été
officiellement ouverte sur « l’affaire Lautric », sans qu’à ma
connaissance aucune enquête ne soit menée et lorsque la défense a demandé à
lier les deux affaires, elle a été déboutée. La justice continue à ne voir
aucun lien entre les deux affaires…
FRédéric Gircour
(chien.creole@gmail.com)
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