dimanche 27 avril 2014

Procès Ruddy Alexis à Paris - 7ème jour : mon témoignage



« Je le jure »



Cela fait environ une heure que je patiente dans la petite salle réservée aux témoins quand on vient me chercher. « Monsieur Gircour, c’est à vous. » Une petite porte me conduit directement dans la salle d’audience et pour la deuxième fois de ma vie, je rejoins la barre, faisant face au président entouré de ses deux assesseurs - deux jeunes femmes – et des jurés. Le public est derrière moi.

« - Jurez-vous de dire toute la vérité et rien que la vérité ? Levez la main droite et dites je le jure

-         Je le jure.»

Avant de m’interroger, on me donne la parole, comme il est d’usage. Tous les regards sont braqués sur moi, je prends ma respiration. La difficulté dans ce genre d’exercice, outre le fait de gérer l’importante pression liée aux enjeux du procès, réside avant tout dans le fait qu’il est interdit de se reposer sur la moindre note. Il faut faire entièrement confiance à sa mémoire, ne pas s’écarter du schéma qu’on a minutieusement préparé au risque de perdre le fil de ses idées et d’oublier des pans entiers de son intervention. Je commence par me présenter comme enseignant, co-auteur d’un ouvrage paru aux éditions Syllepse sur le mouvement social de 2009, dans lequel je consacre un chapitre entier à cette affaire, journaliste à mes heures, puisque je collabore avec certaines publications dans l'hexagone. 



J'explique aussi succinctement comment j'ai chroniqué pour mon blog le mouvement de 2009 depuis le premier jour. Pour cette cour qui ne compte aucun Antillais, j’ai choisi de commencer par poser le contexte et donc par retracer la dynamique de ces 44 jours.





Les 44 jours



Je reviens sommairement sur les deux principaux axes d’action du LKP : les manifestations dans une ambiance festive pendant quasiment un mois d’un côté et de l’autre les fermetures d’entreprises, sur la zone commerciale de Jarry notamment, moins festives et plus autoritaires. Je souligne que dans un cas comme dans l’autre, en dépit d’une situation sociale hautement explosive, aucune violence n’a été à déplorer entre le début du mouvement le 20 janvier et l'irruption des violences policières du 16 février sur lesquelles je reviendrai. J’ai personnellement pu constater sur le terrain, tant de la part de la police que de celle du LKP, une volonté manifeste pour éviter les violences, tout au long des quatre premières semaines de grève.

Je reviens ensuite rapidement sur la gestion du conflit social par l’Etat en rappelant particulièrement :

-         Le protocole de négociation mis en place par le préfet Nicolas Desforges, alors plus haute autorité de l'Etat sur l'archipel qui sera désavoué par Yves Jégo, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer qui a mis tant de temps à arriver ;

-         La fuite à l’anglaise du même Jégo qu’on attendait le 8 février pour finaliser un accord de fin de conflit et qui, à l’heure du rendez-vous, embarquait discrètement dans un avion pour Paris ;

-         Le silence de Nicolas Sarkozy qui ne s’exprimera qu’après la mort de Jacques Bino notamment pour dire qu’on avait « évité le pire » (sic), etc.


Caricature d'Yves Jégo - Montage trouvé sur le Hufftington post

La responsabilité du Medef



La logique du pourrissement orchestrée par l’Etat, était conduite main dans la main avec le grand patronat local, représenté à la table des négociations par le responsable du Medef local, Willy Angèle. Celui-ci a délibérément bloqué les négociations en s’opposant formellement à la question devenue centrale des 200 euros. Or, les statuts du Medef, comme on le découvrira ultérieurement, ne lui permettaient pas de se prononcer sur cette question, détail qu’il ne pouvait ignorer. 

 Willy Angèle en 2009 - © Christophe Bertolin/IP3

Il s’agissait là de poser la question de la responsabilité du syndicat patronal dans le pourrissement d’une situation qui a conduit au tragique épisode que l’on sait, mais le Medef trouve un avocat zélé en la personne du président de Jorna, puisqu’aussitôt que j’évoque cette organisation, il m’interrompt pour me prier d’abréger. « Soyez plus cursif » ajoute Philippe Courroye. J’abrège donc et ne m’étend pas non plus sur les motivations du LKP à ce qu’il n’y ait aucun débordement.





L’origine des violences



J’en viens alors directement au matin du 16 février, moins de 48 heures avant l’exécution de Jacques Bino. Ce matin-là, un barrage est dressé au Gosier, sur la nationale 4 au niveau du pont de Poucet. Un homme s’y présente à l’aube, au volant de sa voiture. Il invective les grévistes sur le barrage et les somme dans des termes peu courtois de dégager. Les esprits s’échauffent un peu mais il y a des cadres syndicaux sur ce barrage et personne ne bouge en dépit des provocations matinales de l’individu. Contre toute attente, l’énergumène au lieu de faire demi-tour, abandonne sa voiture et tourne les talons, s’éloignant à pied. La voiture aussitôt retournée vient grossir le barrage. Moins d’une demi-heure après, c’est ce même individu qui dirige l’intervention des forces dites de l’ordre délogeant le barrage avec moultes violences policières.

L’homme s’était présenté en civil et à aucun moment n’a fait état de son statut de policier. Il sera confondu par une photo que j’ai publiée sur Chien Créole où il apparaît en uniforme au côté du procureur de l’époque, Jean-Michel Prêtre. 

Jean-Michel Prêtre et Christophe Gabillard - ©Frédéric Gircour

Une des personnes présentes sur le barrage est catégorique : c’est bien le même homme. Je corrobore ce témoignage avec ceux d’autres personnes présentes ce jour-là. Toutes sont unanimes, c’est bien lui.





Le super-flic



Une petite enquête me permet de lever le voile sur l’identité de cet homme de l’ombre. Il s’agit d’une sorte de super-flic, un certain Christophe Gabillard qui s’est forgé une réputation de tombeur d’indépendantistes lors de sa précédente affectation en Corse (on sait le rôle qu’un syndicat indépendantiste, l’UGTG, a lui-même joué au sein du LKP). Alors affecté à la brigade financière de la PJ, c’est lui qui a fait tomber Charles Piéri, célèbre dirigeant indépendantiste corse, qui plus est lié au grand banditisme de l’île de beauté.

« Mais d’ailleurs, Monsieur l’avocat général, si je ne m’abuse, vous connaissez très bien le commandant Gabillard, puisque le juge qui a fait condamner Charles Piéri à cette occasion, c’était vous. Je me trompe ? » interroge-je Philippe Courroye.

Le président me reprend : « Ce n’est pas à vous de poser les questions, M. Gircour, vous ne devez pas vous adresser aux parties. »

N’empêche, Philippe Courroye sans doute nostalgique de l’époque où il était à la place qu’occupe aujourd’hui le président de Jorna m’a déjà répondu d’un hochement de tête avec un petit sourire satisfait de lui-même. Je continue sur cette voie.


Manipulations policières


« Et il lui a fallu un certain courage à Christophe Gabillard, en Corse, car son appartement a été plastiqué, son commissariat a même fait l’objet de  tirs de roquette. Il lui aura fallu en Guadeloupe aussi un courage certain pour se lancer seul, même si ses hommes n’étaient sans doute pas loin, face aux manifestants pour se livrer à une provocation qui aurait pu lui valoir une pluie de coups. On parle donc d’un homme courageux mais qui n’a pas hésité à se livrer à une manipulation policière pour déclencher les violences qui allaient culminer avec la mort de Jacques Bino. » 
 
Christophe Gabillard - ©Frédéric Gircour


J’abats mon dernier atout concernant Christophe Gabillard en soulignant presque incidemment qu’en sa qualité de Directeur interrégional adjoint de la Police Judiciaire, il se trouvait justement être le supérieur hiérarchique direct de la capitaine Bonamy que la cour a entendue dans les premiers jours du procès, puisque c’est elle qui a diligenté l’enquête sur le meurtre de Jacques Bino… Pour ses bons services, elle a d’ailleurs été promue au rang de commandant.

Cette manipulation n'était pas la seule que je devais dénoncer ce jour-là... 
(à suivre)



FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

2 commentaires:

  1. "le grand patronat local"

    si tu cherches pas à te faire bien voir, tu dis :
    le patronat de merde guadeloupéen

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