jeudi 3 avril 2014

Procès Ruddy Alexis à Paris : 2ème jour (suite) : demande de renvoi




 Le refus du papier

Ruddy Alexis, laissant monseigneur Gaillot sur un banc au fond de la salle, s’est assis où on lui a indiqué : sur une simple chaise en plastique. Pas de box pour l’accusé comme en Guadeloupe. La salle est beaucoup plus petite que celle de Basse-Terre, les meubles sont en contreplaqué ou en pin bon marché… A l’ouverture de l’audience, le président rappelle sèchement que l’audience était censée s’ouvrir à 9h30 pas à 9h45, et présente au nom de la Cour ses excuses pour le retard. Maître Mirabeau, à qui incombe la responsabilité de ce retard  présente à son tour ses excuses aux différentes parties et au public et explique qu’il est confronté à d’importantes difficultés, notamment pour joindre ses confrères en Guadeloupe, vu le décalage horaire. Mais ce n’est pas tout. Il griffonne quelques mots sur deux feuilles qu’il transmet à la greffière, laquelle fait passer au président. Ce sont des conclusions pour demander le renvoi du procès. En effet, je jeune avocat explique qu’on a refusé de lui transmettre une copie papier du dossier. On s’est contenté de lui remettre un DVD. Le dossier fait 6000 pages, il a fait le calcul : à 30 centimes la page, on arrive à la somme rondelette de 1800 euros. Son client n'a pas les moyens de débourser cette somme. Lui, qui le défend gratuitement, non plus. De toute façon, en 24 heures, il lui était impossible de prendre ne serait-ce que connaissance du dossier. Il prétend qu’au nom de l’article 279, le dossier imprimé est un droit, montre que les autres parties, l’avocat général, la partie civile, sans oublier le président, disposent tous de l’imposant dossier sur leur table. Maître Mirabeau explique qu’il a besoin de le souligner des parties de ce dossier, d’y mettre des annotations, en un mot de se l’approprier, ce qu’un DVD ne permet pas de faire. 


 Ruddy s'entretient avec son avocat, maître Mirabeau, pendant la suspension entre midi et deux - © Frédéric Gircour

 "Vous rejetterez ces conclusions !"


Une bataille juridique s’engage alors autour de l’article 279 que je vous épargnerai. Au-delà de ce point, pour l’avocat général, Philippe Courroye, comme pour les avocats de la défense, il s’agit encore et toujours de manœuvres dilatoires et chacun s’emploie à expliquer qu’il faut que la justice passe. Maître Mirabeau n’est pas un avocat qui viendrait d’être commis d’office, il substitue les avocats constitués de Guadeloupe qui ont fait le choix de ne pas venir. Ils étaient aussi responsables, selon eux, de faire parvenir à leur confrère parisien le dossier papier. C’est faisable en 48 heures par Federal Express. Les droits de la défense n’ont donc pas été bafoués. Maître Tacita après être revenu à la charge sur la campagne menée selon lui sur les réseaux sociaux en Guadeloupe avec la chanson de Fred Deshaye qui visiblement l'irrite beaucoup, en profite une fois de plus pour reprocher à Ruddy Alexis de vouloir choisir ses juges et conclue son intervention en expliquant sur un ton très courroucé que maître Mirabeau avait manqué à la courtoisie la plus élémentaire entre avocats en ne venant pas leur serrer la main et d’un ton péremptoire adressait au président de la cour un énergique : 
« Vous rejetterez ces conclusions », expliquant que là encore la courtoisie et la déontologie les plus élémentaires avaient été foulées au pied puisque ces conclusions avait été remises au seul président, ni au parquet, ni à la partie civile, au mépris du principe contradictoire.



L'art du judo appliqué à la rhétorique
 

On aurait pu imaginer que maître Mirabeau, âgé d’à peine 36 ans aurait été pour le moins ébranlé par cette salve de barrage des parties adverses. C’est pourtant le plus calmement du monde qu’il répondra à son confrère guadeloupéen : « Vous avez raison, j’aurais dû vous remettre une copie de ces deux feuilles mais il ne vous aura pas échappé que j’ai écrit ces quatre lignes dans la précipitation, dès mon arrivée. Vous savez, ajoute-t-il à l’attention de Patrice Tacita, en fait vous me donnez raison. » Prenant alors à témoin les jurés tirés au sort un peu plus tôt, il poursuit : « Vous voyez comme ils se mettent en colère parce qu’on ne leur a pas remis deux pages ? Deux pages comprenant seulement quatre lignes, quatre lignes que le Président a pris soin de lire deux fois à haute voix ? Vous avez vu comme ça les a mis en colère ? Moi ce ne sont pas deux pages qu’on ne m’a pas remis, mais 6000 !!! Imaginer qu’elle devrait être ma colère… Heureusement que mon tempérament indien fait que je suis d’un naturel très calme, rendez-vous compte : 6000 pages sans lesquelles je ne peux pas défendre mon client ! On me donne un dvd comme s’il s’agissait du cd-rom d’un jeu, mais il ne s’agit pas d’un jeu, il s’agit de la vie d’un homme qui a déjà été jugé innocent par une Cour d’assises.» 


«Ka’w ka fé ?»
 
 Refaisant allusion à ses origines indiennes, il évoquera encore la figure tutélaire de Gandhi, source de sagesse et de paix pour lui puis, plus terre-à-terre, il revient sur les difficultés qu’il rencontre déjà avec le peu qu’il a pu voir du dossier :

« Il y a un contexte politique, un contexte culturel que je ne peux pas comprendre en si peu de temps. Il y a des mots, des expressions créoles, monsieur le président, dans ce dossier. Ka’w ka fé, vous savez ce que ça veut dire, vous ? Je ne suis pas en train de vous proposer un café, notez bien. Ka’w ka fé ? Je veux bien faire l’effort d’apprendre le créole en deux mois mais je ne peux pas le faire en 24 heures, vous en conviendrez. Si je dois joindre mes confrères à chaque fois que je bute sur un mot ou une tournure créole, avant d'arriver à les avoir, de m'enquérir du sens du mot, de son éventuelle polysémie avec une remise dans le contexte, je perds une demi-heure à chaque fois !» 


La réponse de la Cour  
On sent qu'on est pas au bout de nos peines avec les innombrables problèmes qu'induit ce dépaysement... Et l’on comprend en effet le déséquilibre qui existe entre la défense  qui découvre un dossier, enfin qui devrait le découvrir si on lui en donnait les moyens et face à lui les avocats de la partie civile qui le connaissent parfaitement  puisque deux d’entre eux ont assisté au procès en première instance et sont par ailleurs parfaitement au fait des moindres subtilités de la langue créole, sans même parler du contexte politique et culturel dont ils n’ignorent rien. Après avoir écouté les différentes parties, le président impose une suspension de séance pour statuer sur le renvoi. Dix minutes plus tard, le verdict tombe : le renvoi est refusé, la difficulté dans laquelle se trouve maître Mirabeau n’est pas du fait de la justice mais des avocats de la défense en Guadeloupe. La demande de remise d’un dossier imprimé est rejetée pour les mêmes raisons. Le procès peut commencer. La "justice" doit passer…

               FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)


3 commentaires:

  1. et pourtant tacita faisait partie du LKP, quel jeu joue t-il ? Il sait que Rudy Alexis est innocent.....

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    1. Il défend à juste titre la vraie victime qui est feu Jacques Bino si je comprends bien !!!

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