mercredi 2 avril 2014

Procès Ruddy Alexis à Paris – 1er jour d’audience



En homme libre 




C’est en homme libre que Ruddy Alexis s’est présenté lundi 31 mars à 8h00 devant le Palais de Justice de Basse-Terre. Il est libre depuis ce jour de novembre 2012 où, après quarante-cinq mois de prison en préventive dont vingt-cinq à l’isolement, jurés et magistrats de ce même Palais de Justice décidaient de l’acquitter à l’unanimité. Il n’avait pas fallu, après les dernières plaidoiries de la défense, de longues délibérations pour qu’ils le reconnaissent innocent du meurtre du syndicaliste Jacques Bino, survenu pendant le mouvement social emmené par le LKP, en 2009. Au journaliste qui lui demandait qu’elle serait la première chose qu’il envisageait de faire, il répondait alors avec un nœud dans la gorge « je vais aller chercher ma fille à l’école, ça fait quatre ans que je n’ai pas pu la voir. »



Dépaysement


Le soulagement pour lui et pour les siens avait été de courte durée. Plutôt que de relancer l’enquête sur des pistes sérieuses cette fois, la procureure générale, Mme Catherine Champrenault faisait appel de cette décision trois heures seulement après son énoncé. Dans un second temps, elle demandera pour le Parquet à ce que le procès en appel soit délocalisé à Paris. C’est ainsi que Ruddy a reçu courant février une citation à comparaître devant la cour d’assises d’appel du Palais de Justice de Paris pour ce même lundi 31 mars à 14h30, soit une demi-heure après son arrivée à celui de Basse-Terre, avec le décalage horaire…



Les 3D


Après avoir symboliquement constaté avec ses avocats, les 3D, maîtres Démocrite, Daninthe et Derussy que l’ « affaire Ruddy Alexis » n’y était pas programmée, ils ont demandé à être reçu par la procureure générale, à l’origine de cette procédure. 
 

 De gauche à droite : maître Daninthe, maître Démocrite, Ruddy Alexis et maître Derussy constatant la non-programmation de l'affaire en Guadeloupe (© Patrice Ganot)




Un concours de circonstance a voulu qu’elle ne  puisse les recevoir, se trouvant justement en mission… à Paris. C’est donc l’avocat général qui avait requis contre Ruddy entre 15 et 18 ans de prison, Camille Tardo-Dino, qui les a reçus. Mis en communication avec des magistrats du Palais de Justice de Paris, Ruddy a expliqué qu’il ne voulait pas se soustraire à la justice mais que n’ayant pas les moyens de se rendre à Paris, ni d’assurer son hébergement, sans même parler des frais pour faire venir ses avocats, et après avoir averti à plusieurs reprises la cour d’assise de Paris, tant oralement que par courrier, des difficultés que cela engendrait, il n’avait vu d’autre solution que de se présenter devant la cour où il aurait normalement dû être jugé.



Pendant ce temps-là à Paris… 


Devant la Cour d’assise de Paris, Maître Mirabeau explique qu’il a été désigné le 28 mars par ses confrères guadeloupéens pour les représenter ici dans l’intérêt de leur client et s’enquiert de savoir ce qu’est devenue la requête en rétractation déposée par les avocats de Ruddy depuis la Guadeloupe. Le président Régis de Jorna lui répond que  cette requête n’est jamais arrivée et que le reçu de dépôt que l’avocat lui tend n’est pas une preuve suffisante de son existence légale. Il exige un accusé de réception. Il donne la parole aux avocats de la partie civile, censés eux représenter les intérêts de la famille de Jacques Bino et d’O’Brien, l’ami qui se trouvait avec la victime le soir du meurtre. Maître Patrice Tacita s’emporte. Pas contre la délocalisation : il qualifie Ruddy Alexis de « fuyard », il exige qu’il soit jugé ici à Paris, par défaut. Même l’avocat général, le très médiatique ex-juge Courroye ne sera pas aussi catégorique, affirmant certes que la justice est ici traitée de façon indigne et qu’il s’agit là selon lui de manœuvres dilatoires mais offrant tout de même au président de choisir entre l’alternative du jugement par défaut et celle du mandat d’amené, tel que préconisé par  maître Mirabeau pour pallier au manque de moyens de Ruddy. 


 Maître Sanjay Mirabeau (© Frédéric Gircour)


La justice en otage


« Il prend la justice en otage ! poursuit maître Tacita. S’il n’a pas les moyens de faire venir ses avocats, on peut lui en commettre d’office ici. Les jurés doivent savoir qu’aujourd’hui, on peut parfaitement venir de la Guadeloupe sur des vols low coast pour 400 euros », oubliant de dire qu’il ne s’agit pas seulement de l’aller-retour, mais qu’Alexis doit en l’occurrence prendre entièrement à sa charge tous ses frais d’hébergement pendant une quinzaine de jours, de déplacement sur Paris, l’achat de vêtements chauds et j’en passe. Tout cela alors même qu’après quasiment 4 ans de prison, il a perdu la petite exploitation agricole dont il vivait et est toujours à la recherche d’un emploi, dans un département où le taux de chômage bat tous les records… Et que dire de la remarque de maître Malouche, autre avocat de la partie civile, estimant qu’eux aussi sont soumis aux mêmes contraintes financières et qu’ils sont pourtant présents, que Ruddy Alexis devrait assumer sa décision de ne pas venir au lieu de jouer au chat et à la souris. Comme si l’impact financier était le même pour un demandeur d’emploi que pour un avocat gagnant très bien sa vie…



« La san-la koulé, la pou jijé nou »


Maître Tacita surenchérit parlant d’une campagne menée en Guadeloupe sur les réseaux sociaux, par des artistes guadeloupéens. Il fait bien sûr ici référence à la chanson « la san-la koulé, la pou jijé nou », là où le sang a coulé, c’est là qu’on doit être jugé, de Fred Deshaye, l’auteur-compositeur et vocaliste du groupe Soft, universitaire et éminent juriste par ailleurs, qui s’est entouré pour l’occasion de chanteurs célèbres comme Dominik Coco, Misié Sadik ou le groupe Mas Ka Klé. Leur chanson circule effectivement sur les réseaux sociaux mais aussi sur les ondes. « Il y dit qu’il exige d’être jugé en Guadeloupe, car il estime que vous n’êtes pas compétents, vous, les magistrats parisiens ! » assène encore Tacita le doigt levé.





Un retournement de paradigme


Maître Mirabeau, qui reprend la parole lui rétorque très calmement qu’il admire le retournement de paradigme. « Ce qui déplait à mes confrères et certainement aussi à Ruddy Alexis, en tout cas c’est comme ça qu’ils le ressentent, ce n’est certainement pas que les magistrats parisiens ne seraient pas à même de juger cette affaire, c’est qu’en renvoyant l’affaire ici, on semble au contraire considérer que ce sont les jurés guadeloupéens qui ne sont pas en capacité de juger. A Paris on a les idées claires et donc là, on va le faire condamner. » C’est en effet ces thématiques que dans le même temps mais à 7000 kilomètres de là, ses avocats, la Ligue des Droits de l’Homme et le Comité Respect et Justice créé pour protester contre le principe même du dépaysement, développent lors d’une conférence de presse donnée à Basse-Terre face à un pare-terre nourri de journalistes. 

 De gauche à droite : maître Daninthe, maître Démocrite, Ruddy Alexis et maître Derussy (© Patrice Ganot)



24 heures


Le président de Jorna demande finalement que soit délivré un mandat d’amené à l’encontre de Ruddy Alexis afin de lui permettre de venir à Paris. Après s’être entretenu avec le Juge des Libertés, il fera donc le voyage encadré par deux gendarmes qui se montreront néanmoins très corrects, voire même avenants à son égard. 
 

 Ruddy Alexis emmené par la gendarmerie (© Patrice Ganot)

Quant à maître Mirabeau qui se dévoue pour assurer la défense de Ruddy dans la capitale, le président ne lui accordera guère plus de 24 heures (puisque la décision est prise le lundi en fin d’après-midi et que le procès reprendra mercredi matin) pour prendre connaissance des quelques 6000 pages du dossier. Une gageure ! 



FRédéric Gircour (à Paris) (chien.creole@gmail.com) en collaboration avec Patrice Ganot (à Basse-Terre)


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