dimanche 23 décembre 2012

Procès Bino : 12° Le coup de grâce



Dans mon article précédent, je me suis contenté de vous renvoyer à l’excellent papier de Boris Colombet (1). Je vais toutefois revenir sur le coup de théâtre qu’a constitué le témoignage de Cyrille Martinvallet en le replaçant dans son contexte et en apportant un éclairage sur certains aspects que France-Antilles n’a pas développé. Nous sommes à la fin des débats. Cette après-midi-là a été presque exclusivement consacrée à la lecture de pièces du dossier, comme c’est l’usage à la fin d’un procès d’assise, à la demande de la défense, de la partie civile et de l’avocat général. De longues heures se sont ainsi égrenées assez peu passionnantes, il faut bien l’avouer. On était donc loin d’imaginer à la toute fin d’après-midi qu’on allait assister à un événement qui devait conduire à faire voler en éclat le dernier atout de poids de l’accusation.



Ruddy Alexis, dans le box, s'entretient avec deux de ses avocats (maîtres Daninthe et Démocrite) pendant une interruption de séance (photo  ©FG)


Une accusation qui prend l’eau de toutes parts



Entre autres documents, les avocats de la défense ont demandé à ce qu’il soit fait lecture de tous les témoignages des policiers qui se trouvaient à proximité de la cité Henri IV, le soir du crime. Laborieuse lecture dont le seul but était de mettre en évidence qu’aucun policier n’avait été en mesure d’identifier qui que ce soit ce soir-là et encore moins Ruddy Alexis. Ces témoignages sont à mettre en relation  avec celui d’un policier entendu à la barre au début du procès, Jean-Marie Arroyal et qui répondait que, pris à parti par des jeunes armés qui les « tiraient comme des lapins », ils n’avaient pu identifier personne, précisant qu’à 50 mètres, ils ne pouvaient distinguer que des silhouettes, qu’il n’y avait pas l’électricité… De quoi remettre en cause certains témoignages extrêmement précis, livrés par des témoins, comme messieurs Forbin et Zenon, qui se trouvaient à plus de 100  mètres du tireur… Concernant Forbin, la défense aura d’ailleurs beau jeu d’expliquer qu’il s’agit d’un indicateur de police : « la police l’a appelé le lendemain des faits sur son portable pour lui demander s’il connaissait l’auteur des faits, c’est dans le dossier ! » s’exclamera maître Démocrite. Rappelons que tous les témoins sont revenus sur leurs déclarations, hormis précisément Forbin et son cousin Zenon dont j’ai expliqué le degré de confiance qu’on pouvait accorder à son témoignage (2). Ajoutons que  les pièces à conviction ont disparu (3), qu’à aucun moment l’accusé n’a fourni le moindre aveu, qu’en dépit de ses efforts répétés, l’accusation n’est pas parvenue à le déstabiliser une seule fois ni à faire apparaître la moindre incohérence dans ses déclarations. Et concluons le bilan à ce stade du procès en précisant que la bataille de l’opinion publique, quant à elle, est perdue depuis longtemps, la couverture médiatique faisant état quotidiennement des aberrations et de la faiblesse du dossier monté par la capitaine Bonamy (dont le travail a pourtant eu l’heur de plaire à sa hiérarchie puisqu’elle est depuis passée du grade de capitaine à celui de commandante…). Sentant donc un verdict fatalement défavorable aux intérêts de l’Etat se profiler, l’avocat général a souhaité reprendre la main avant la fin des débats et c’est alors qu’il va commettre ce que le journaliste de France-Antilles n’hésitera pas à qualifier de « monumentale erreur stratégique ».





Les fadettes de Nanettes



L’avocat général a en effet demandé la lecture de la conclusion accompagnant les fadettes (relevés téléphoniques) d’Eric Nanette, prétexte aussitôt saisi au vol, dans un beau numéro de duettistes, par le président Fagalde pour rappeler Nanette à la barre alors qu’il avait déjà livré son témoignage quelques jours auparavant. Eric Nanette est un employé municipal de la ville de Pointe-à-Pitre, très engagé dans la vie syndicale et associative, il a des responsabilités au sein de la CTU (Centrale des Travailleurs Unis) et est président d’une association très dynamique sur la cité Henri IV, la Tyrolienne, qui se charge de défendre les locataires et se dévoue pour les personnes du troisième âge. Ruddy Alexis en faisait partie et depuis son arrestation, les personnes âgées de l’association prient pour sa libération. Rappelons enfin l’existence du SMS se contentant de reprendre pour les dénoncer, des propos racistes tenus par M. Huygues-despointes, béké martiniquais, dans le reportage des Derniers maîtres de la Martinique, diffusé par Canal+. Le fait que M. Nanette l’ait relayé entre autres personnes à Ruddy Alexis, aurait constitué, selon le parquet et les avocats de la partie civile qui n’ont pas peur du ridicule, un appel au meurtre (4)…

Le magistrat demande à Nanette revenu déposer, s’il a eu connaissance des graves accusations portées contre lui par Martinvallet et lues depuis à deux reprises. Nanette répondant par la négative, ce dernier se fait donc un devoir de lui rappeler que Martinvallet aurait affirmé aux enquêteurs, entre autres choses plus ou moins délirantes, l’avoir entendu dire à d’autres membres de la CTU que c’est Ruddy qui avait tué Bino et qu’il toucherait un bon paquet d’argent pour ça à sa sortie de prison. Nanette réfute calmement mais fermement ces accusations. Alex Lollia manifeste alors discrètement son désir d’être lui aussi entendu à nouveau, il connait bien Martinvallet et a des choses à dire. La défense obtient qu’il soit à son tour réentendu.

                                                   



Un indicateur et un violeur



C’est un Alex Lollia en grande forme qui se rend à la barre et qui commence par s’étonner de l’absence de Martinvallet. Le président explique qu’il a été convoqué mais qu’il n’a pas répondu à sa convocation et qu’on ne l’a pas trouvé. Ayant été dit précédemment qu’il s’était présenté spontanément auprès des services de polices pour apporter son premier témoignage, le secrétaire général de la CTU s’étonne du fait que lorsqu’on ne le convoque pas, il vienne de lui-même et que lorsqu’on le convoque, il ne vienne pas. « C’est tout de même curieux, ça non ? » Il rappelle dans quelles conditions la CTU a acceptée de le laisser dormir dans les ses locaux et s’attire les foudres de M. Tardo-Dino, l’avocat général, lorsqu’il affirme que Cyrille Martinvallet est un indicateur de police et un violeur. Sans se démonter, Lollia raconte comment Martinvallet lui-même s’était ouvert à lui du fait que la police le harcelait pour avoir des informations sur ce qui se passait à la CTU pendant les 44 jours de 2009. Il explique aussi qu’il est bien placé pour dire que c’est un violeur, puisque c’est lui qui, à la demande de sa sœur, l’a orienté vers un avocat de sa connaissance pour sa dernière affaire de viol. Là-dessus, il propose au président du tribunal si la police n’est pas capable de le trouver, de le ramener le lendemain matin, affirmant savoir où il habite, connaissant en outre les domiciles des cinq, six maîtresses avec qui il a eu des enfants et qui sont susceptibles de l’héberger. Maître Diallo bondit de son banc : « suffisamment de témoins ont été intimidés dans ce procès, je vous interdis de l’approcher ! ». Embarrassé, l’avocat général sera contraint de lancer le soir même un mandat d’amener et on comprendra le lendemain quand il sera enfin présenté devant les jurés, pourquoi le parquet avait mis si peu d’empressement à l’amener ici.





Coup de tonnerre !



Alors qu’il est appelé à la barre, le policier chargé d’amener Martinvallet vient prévenir le président que le témoin refuse de témoigner. Le président, l’avocat général, les divers avocats quittent alors la salle d’audience et visiblement parviennent à lui faire comprendre qu’il est dans son intérêt de  parler car il finit par se présenter. Le juge commence à relire son témoignage et lui demande s’il confirme ses propos. La réponse est laconique : 

 « -       Non .

-      Ce n’est pas ce que vous avez déclaré aux policiers qui vous ont entendu ? s’enquiert le président.

-      J’ai fait un faux témoignage. »

Et d’expliquer de mauvaise grâce qu’il a plusieurs grosses affaires au-dessus de sa tête et que les policiers lui ont demandé de porter ces accusations, en échange de quoi, ses affaires seraient enterrées. Il affirmera ne pas connaître le nom de ces policiers, il n’est pourtant pas difficile de savoir qui l’a auditionné, normalement ça apparait sur le PV d’audition. Enfin, dans une procédure normale, dans ce dossier, on ne peut jurer de rien, peut-être les pages en question vont-elles disparaître à leur tour si ce n'est déjà fait ? Plusieurs fois, on le menace s’il ne maintient pas sa première déclaration :

« Monsieur, vous travaillez comme vigile dans la sécurité. Vous savez qu’on ne peut pas exercer cette profession si on a un casier judiciaire, et si vous êtes convaincu d’avoir fait un faux témoignage vous aurez un casier. »

Mais contre toute attente, dans un élan de dignité retrouvée, il ne se laisse pas intimider et maintient qu’on l’a contraint à faire un faux témoignage, qu’il préférerait aller en prison que d’y envoyer un innocent.





Les méthodes de la police judiciaire



On lui avait certainement dit qu’un tas de témoignages accablait déjà Alexis et qu’un de plus, ça ne changerait pas grand-chose. Il a aussi déclaré que dans un premier temps, c’est Alex Lollia que les policiers lui avaient demandé d’incriminer et que devant son refus, ils s’étaient rabattus sur Nanette. 
Ruddy Alexis lui aussi a dénoncé ce genre de pression :



« Ils voulaient d’abord que j’implique les autres témoins, ceux qui étaient venus avec moi puis ils m’ont menacé, fait du chantage : si je n’impliquais pas Eric Nanette comme commanditaire, ma femme irait en prison et ma fille à la DDASS, ils me l’ont répété plusieurs fois. » 

Mais lui n’a jamais cédé à ces pressions. Lorsque le président lui a demandé, à son avis, pourquoi les policiers auraient voulu faire condamner Eric Nanette, il a répondu :

 « Ils ont sans doute voulu impliquer des membres du LKP, enfin c’est une supposition. Ils ont certainement voulu ternir l’image du LKP. »

 FRédéric Gircour  (chien.creole@gmail.com)




 


2 commentaires:

  1. Pfff je ne crois pas à leur justice. .. mais oui j'espère très fort que ce bouc émissaire sorte de ce piège colonial

    RépondreSupprimer