jeudi 1 mai 2014

Procès Ruddy Alexis à Paris - 7ème jour : Le commando



Si les manipulations que j’ai révélées dans les deux premières parties de mon témoignage montrent à quel point cette affaire est plus complexe qu’il n’y paraît, le point fort de mon intervention réside néanmoins dans ce que je m’apprête à dire devant la cour. Avocats de la partie civile et avocat général ne s’y tromperont pas qui ne reviendront, lors de mon interrogatoire, que sur cette dernière partie, tentant résolument de la remettre en cause.


Un commando sur place

J’affirme qu’on a tenté d’étouffer la présence d’un commando sur les lieux ce soir-là. Quelques dizaines de minutes après le meurtre de Bino, à quelques dizaines de mètres de là où le tireur a abattu le syndicaliste, une autre victime s’effondrait de toute évidence touchée elle aussi par une brenneke. 





Cela faisait des heures que des jeunes de la cité Henri IV s’échinaient contre les rideaux de fer de deux enseignes sur le boulevard Légitimus attenant à la cité. Quand celui de la bijouterie Tout l’or du monde a cédé, les casseurs se sont précipités dedans pour rafler ce qu’ils pouvaient. C’est lorsqu’ils sortaient les mains pleines que quatre hommes à scooter sont intervenus, cagoulés de noir, vêtus de treillis militaires et armés de fusils à pompe pour les délester de leur butin. Ils ont dispersé la foule en ouvrant le feu sur un de ceux qui assistaient au casse, le blessant très gravement à la cuisse. Treillis militaires, cagoules noires, fusil à pompe, c’est précisément la description du tireur qui a entraîné la mort de Bino. Je résume pour les jurés : nous avons donc là des faits qui ont lieu quasiment dans le même laps de temps, dans le même périmètre, avec deux tireurs présentant la même apparence physique. J’explique par ailleurs que pendant ces trois jours de violence, les 16, 17 et 18 février, la police et des  jeunes ont échangé à plusieurs reprises des coups de feu. Lors de ces échanges de tirs, force est de constater que les jeunes ont toujours utilisé du plomb et que la police a toujours répliqué à la gomme-cogne, une balle en caoutchouc. Sur tout le territoire de la Guadeloupe, les deux seules fois où des balles létales ont été utilisées, c’était pour tirer sur le véhicule de Jacques Bino et pour tirer juste après sur le jeune Jimmy Lautric.


 La bijouterie Tout l'or du monde, le 18 février 2009 - © Frédéric Gircour


Déchirez cette plainte que je ne saurais voir !

Jimmy Lautric avait perdu quatre litres de sang quand il est arrivé au CHU, amené par des amis en scooter. Opéré aussitôt, il a été sauvé in-extremis. Il a été entendu au sortir de l’anesthésie par deux membres de la Police Judiciaire, encore elle… Lautric a immédiatement voulu porter plainte contre X et les policiers ont reçu sa plainte, comme il se doit… avant de revenir à son chevet une demi-heure plus tard. Entre temps, sa mère l’avait rejoint. A la stupéfaction de la mère et de son enfant, ils ont exigé de Jimmy qu’il déchire sa plainte. Comme la mère s’y opposait fermement, ils l’ont fait eux-mêmes. Ce scandale a été révélé par Lise Dolmart, au journal télévisé de RFO, plusieurs semaines après. Sommé de s’expliquer, le procureur a reconnu les faits et a expliqué que si sur la forme, les agissements des policiers étaient en effet discutables, sur le fond, il n’y avait  rien d’anormal, puisque selon lui, la police judiciaire n’était pas habilitée à traiter cette affaire. Sarah Aristide, l’avocate de Jimmy Lautric me racontera qu’elle aura eu les plus grandes difficultés pour que la Police Nationale reçoive la plainte…


Incompréhensible

Je marque une pause et regarde les jurés. « Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est comment, alors qu’on a une situation explosive, qu’il faut absolument arrêter un coupable, qu’on n’a aucune piste (on en est qu’au stade des constatations, Patrice Prixain n’a pas encore été inquiété, Ruddy Alexis encore moins), on détermine qu’on n’investiguera pas une piste aussi sérieuse. Pourquoi ? Je pose cette question depuis des années, je l’ai posée au premier procès, personne n’a pu me fournir de réponse. J’en ai parlé avec la capitaine Bonamy. Elle m’a répondu avec un petit sourire qu’une balle dans la cuisse ne constituait pas une tentative de meurtre et que donc la PJ n’était pas habilitée à s’occuper de cette affaire. Mais si ce n’est pas pour elle-même que cette affaire aurait dû intéresser la Police Judiciaire, ce qui, à mon sens est en soi plus que discutable, c’est en avant tout pour sa relation à l’affaire Bino que la PJ aurait dû s’en saisir!

De cela il n’a jamais été question. Une information a finalement été officiellement ouverte sur « l’affaire Lautric », sans qu’à ma connaissance aucune enquête ne soit menée et lorsque la défense a demandé à lier les deux affaires, elle a été déboutée. La justice continue à ne voir aucun lien entre les deux affaires…

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

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