samedi 17 mai 2014

Procès R. Alexis à Paris - 7ème jour : la piste du tireur solitaire ?



Un procédé grossier



Après que j’ai été entendu, le président de Jorna fait revenir à la barre Peter O’Brien, qui s'est constitué partie civile dans cette affaire. Ce dernier se trouvait au côté de son ami, Jacques Bino, le soir du meurtre, sur le siège passager de la Fiat Punto du syndicaliste. Quand on sait que la brenneke est rentrée par le côté passager et l’a frôlé d’à peine quelques centimètres, si ce n'est quelques millimètres, on peut dire que ce jeune pompier est un véritable miraculé. Il ne doit sans doute son salut qu’à sa silhouette fine et élancée, à l’opposé de celle de Jacques Bino, bien plus corpulente. 


 Peter O'Brien - © Léia Santa Croce
Le président demande à O’Brien, qui a déjà été entendu dans les premiers jours du procès, s’il a écouté le témoignage que vient de livrer « monsieur Gircour qui n’est pas journaliste - il nous a bien précisé que sa profession était enseignant - et qui n’a rien vu puisqu’il n’était pas là. Que pensez-vous de la théorie qu’il a avancée, puisque vous, vous étiez sur place. » Il trouvera le moyen dans son interrogatoire de répéter encore une fois que je n’ai rien vu de la scène du crime. Lors de l’interruption de séance qui allait suivre quelques dizaines de minutes plus tard, comme mi-agacé, mi- amusé, je demandais avec une certaine ironie, dans la salle des pas-perdus, à un d’un des avocats de la défense, si la commandante Bonamy avait-elle aussi eu droit à ce genre de remarque quand elle a présenté le fruit de son enquête, puisqu'elle non plus n'a rien vu ce soir-là, celui-ci posait une main sur mon épaule avec un sourire : « ne t’inquiète pas pour ça, s’il fait ça, c’est parce qu’il sent que ton témoignage a fait mouche, qu’il a ébranlé les jurés. Ils essayent de reprendre la main. C’est plutôt bon signe.  O’Brien n’était pas du tout censé être réinterrogé à ce moment-là. »





« Cagoulés, en tenue kaki de combat »



A la question de savoir ce qu’il pense de ce que j’avance, Peter O’Brien commencera par dire qu’il n’y croit pas une seconde car ils n’avaient absolument pas prévu de passer par la cité Henri IV, ce soir-là. C’est parce que d’autres voies étaient bloquées par des barrages qu’ils se sont résolus à passer par là mais ils auraient tout aussi bien pu prendre un autre chemin. Il faudra la vigilance de maître Edmond-Mariette pour rappeler à juste titre, dès qu’il en aura l’occasion, que je n’ai jamais défendu la thèse selon laquelle ce serait Jacques Bino qui aurait été visé personnellement ce soir-là. Le président de Jorna insiste encore sur mon témoignage, demande à O’Brien s’il a vu les faits auquel je fais allusion, l’intervention d’un commando. Il ne s’attendait sûrement pas à la réponse que le témoin de la partie civile lui lance à la barre : celui-ci explique qu’après le meurtre, une bande de cinq ou six gars armés, « cagoulés, en tenue kaki de combat » s’est approchée de lui. « L’un d’eux m’a dit en créole " si je voulais te flinguer, je l’aurais déjà fait ". Il a tiré une fois en l’air et ils sont partis. » Flottement dans la salle. Il explique ensuite que plusieurs groupes de jeunes sont venus se rendre compte par eux-mêmes de la situation. Quelqu’un a même dit : « ah, alors ils se sont trompés. »

Faisant mine de reprendre les propos d’O’Brien quelques minutes plus tard, le président reformule :

« Ils se sont approchés de vous, et en constatant que vous n’étiez pas de la police, l’un d’entre eux a dit " ah, nous nous sommes trompés ", c’est bien ça » ?

 Oui, monsieur le président », répond un Peter O’Brien peu contrariant.

Pourtant, le passage de la troisième personne du pluriel, « ils » à la 1ère du pluriel, « nous » est tout sauf anodin : d’une constatation d’une personne tierce sur les intentions supposées du meurtrier, on passe allégrement à un aveu : « Nous nous sommes trompés ». Les jurés seront-ils dupes de ce glissement ? En tout cas, que ce soit « ils » ou « nous », ce pronom met à mal la thèse du tireur solitaire à laquelle se raccroche l’accusation.





Le récit d’O’Brien



O’Brien revient sur les faits ce soir-là. « Après le meeting, quelqu’un nous a dit de ne pas rester là, que la GUP était déjà en feu, et que des jeunes descendaient sur Pointe-à-Pitre pour mettre le feu. Jacques a dit que ça devenait chaud et on est parti. » C’est O’Brien qui a vu le barrage le premier, au bout de l’avenue Gagarine dans la cité Henri IV et qui a dit à son ami de faire demi-tour. Il a entendu ensuite la première détonation, celle qui sera fatale à son ami. Il livre ce témoignage qui fait froid dans le dos : « Je ne me suis pas rendu compte que Jacques avait été touché. C’est en regardant vers la gauche que j’ai vu le sang qui avait giclé sur le pare-brise. » Il explique que deux autres coups de feu ont retenti alors que lui-même s’extrayait de la voiture par la vitre côté passager car en venant percuter les véhicules garés devant, la Fiat punto s’était arrêtée contre une autre voiture qui empêchait la portière de s’ouvrir… Il a alors perdu l’équilibre, est tombé. Il a ensuite fait le tour de la voiture pour porter secours à son ami, en se relevant le moins possible. Malheureusement, il devait aussitôt se rendre compte qu’il n’y avait plus rien à faire…





Trois longues heures sans secours



Il est resté là trois heures à attendre les secours. Il ne comprend pas quand les pompiers lui répondent au téléphone que non, ils ne peuvent se rendre sur place parce qu’ils risquent de se faire caillasser. « Je suis moi-même pompier. Je les ai insultés, monsieur le président ! Après je me suis excusé auprès des collègues, ils m’ont dit qu’ils me comprenaient. Pendant cette longue attente, on entendait des détonations, les jeunes refluaient sur la cité et repartaient. »

Cette dernière déclaration vient là encore conforter mes propos. Le président se garde bien de s’y arrêter. O’Brien déplore enfin que parmi tous les jeunes "venus voir", pas un ne lui a demandé comment ça allait, pas un ne lui a proposé de l’aide, pas un n’a même proposé d’alerter les secours. Seuls quelques voisins qui sont descendus plus tard et ont reconnu Jacques Bino lui proposeront de les suivre dans leur appartement.

« J’étais venu avec Jacques, il était hors de question que je l’abandonne. » dira-t-il avec une détermination touchante.





Un groupe de quatre

                                                                                                                  

Certes Peter O’Brien s’est dit satisfait du fait que le procès ait été dépaysé et a demandé aux jurés de condamner Ruddy Alexis : « même si le tireur s’est trompé de cible, il doit quand même payer ! Je vous demande de me permettre de vivre à nouveau, je vous demande que la punition s'ensuive », dira-t-il notamment ; néanmoins, contre toute attente, sa nouvelle audition, loin de démolir ce que j’affirme depuis des années, l’a plutôt étayé. A cela sont venu s’ajouter les propos de madame Dursus, cette enseignante résidant Cité Henri IV, qui a tout vu depuis son balcon, idéalement situé au-dessus du tireur, ayant eu également la voiture de Jacques Bino dans son champ de vision au moment du drame. Elle a témoigné par visioconférence entre mon témoignage et mon interrogatoire. Le président m’a demandé si ça ne me gênait pas de procéder de la sorte, car mon propre témoignage avait pris pas mal de temps. La dame patientait depuis un bon moment, je n’y ai donc bien sûr pas vu la moindre objection et ai alors rejoint la petite salle réservée aux témoins en attente d’être entendus. En tant que témoin direct du meurtre à la probité incontestable, madame Dursus a été unanimement reconnue comme un des témoins capitaux dans cette affaire. Son témoignage contredit lui aussi totalement la piste du tireur solitaire. Elle parle d’un groupe de quatre personnes arrivé bien plus tôt sur le barrage parmi lesquels celui qui va tuer Bino. En soi cela contredit les témoignages à charge qui affirment que le tireur, identifié selon eux comme Ruddy Alexis, aurait agi seul et ne serait resté que quelques secondes sur le barrage avant d’ouvrir le feu, arrivant juste du boulevard Légitimus d’où il aurait déjà tiré. Mais elle va plus loin : le tireur était de grande taille, ce qui n’est pas le cas de Ruddy, c’était le plus grand des quatre ! Comme au procès à Basse-Terre où elle avait pu le voir debout, elle est catégorique, ça ne peut pas être Ruddy Alexis.



FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

3 commentaires:

  1. le terme " enseignant" ne désigne pas un métier : instituteur, professeur/collège, porfesseur/lycée générale, professeur/autre

    il est utilisé de préférence pour désigner celui ou celle qui est au service du marché car beaucoup de gens prennent leurs rêves pour des réalités.

    bizz

    RépondreSupprimer
  2. TEMOIGNAGE CONTESTE ET NOUVEAU LABEL ENSEIGNANT DE FEU L’UAG

    Donc le terme « enseignant » ne désigne pas un métier !
    Ah ben oui ! Et pourquoi pas ?
    Mais alors peux-tu essayer de m’expliquer ce qu’est un « métier » ?

    Bof, bof, ce n’est pas vraiment le sujet !
    D’ailleurs je précise que le terme enseignant en fait « est utilisé de préférence pour désigner celui ou celle qui … [serait] au service du marché » !

    Ah bon, ben alors là, si j’ai bien compris ton truc, il suffit d’être « au service du marché » pour se voir désigné comme « enseignant » !
    C’est bien ça ?

    Ben oui !

    Mais nom de D… ! Alors mon voisin qui achète sa nourriture, son eau, son électricité, son gazole, sa grosse cylindrée et sa tablette tactile, ses pompes à bouts carrés et ses curieux costards dernier cri, ben il participe « au service du marché » celui-là ?
    Donc on pourrait le traiter d’« enseignant », même si en fait c’est « on gadèdzafè » !

    Tonnerre de sort ! Il y a même mieux !

    Celui-ci qui fait des « job», l’autre qui pêche des lambis en périodes interdites et les refourgue à des mareyeurs marrons, le gugusse qui emploie des Haïtiens et des sous-traitants non déclarés et qui leur refile en prime les tunes des subventions européennes, celui qui se fait payer ses frais de réception, ses factures de portable, ses billets d’avion « en cocagne » et même les cadeaux de ses maîtresses à l’aide de deniers publics…, celui qui encaisse deux consultations pour une seule visite et qui t’envoie ensuite chez tel psy ou tel autre fumeur de moquette, celui enfin qui t’encourage à créer ta p’tite entreprise – tu sais celle qui va aller au tapis en moins de deux ans – ce bonimenteur de la « com à deux balles » qui prétend te « coacher » … celui-là aussi reste toujours « au service du marché » ? Et mes amis, d’un sacré marché !
    En tous cas, pour ces zouaves-là, il n’y a pas de doute.
    Et en plus ce sont vraiment des « gens [qui] prennent leurs rêves pour des réalités » !

    Et donc tous ces mecs-là peuvent être appelés « enseignant » !
    Mais non de D…, alors chapeau pour cette magnifique « déductologie locale »…

    Enfin au moins en Guadeloupe les jeunes ne manqueront donc plus jamais d’enseignants et puis cela fera sans doute plaisir à tout un tas de pauvres types qui pourront croire qu’ils ont vraiment été des « enseignants » – même pendant un instant seulement – sans les salaires idoines !


    Epilogue : Sur la mode des confusions, qui ne sont pas forcément celles des genres …

    Après tout, on aime se payer de mots !

    Alors quand tu vois que certains jean-foutre émargeant à feu l’UAG – toujours prompt a se déclarer victimes de l’insupportable « système colonial fwansé » – ont réussi grâce à l’immensité de leur culture « du noumenm-noumenm » et de leur fameuse solidarité « du manfou a zòt » à diversifier leur activité d’enseignant universitaire au point de se spécialiser dans tous les genres, du suceur de roues, carriériste-combinard, juriste-chanteur, consultant-bavard médiatisé à outrance, faiseur de doctorants, formateur de spécialistes du détournement et de l’escroquerie, au gérant-patron grand pêcheur devant l’Eternel, alors nous ne pouvons qu’acquiescer : le terme « enseignant » ne désigne vraiment pas un métier, mais bel et bien « celui ou celle qui est au service du marché » (sic)!
    En tout cas certains étudiants pourraient peut-être constater d’ici peu qu’ils baignent dans un véritable «manjé et bwé-a-kochon » et s’apercevoir qu’ils vont être munis de « diplômes cocotiers, estampillés par quelques foutriquets ayant sévi au sein de l’UAG et qui l’ont sans vergogne dépecée pendant 15 ans » …

    Et alors pourquoi pas des enseignants-écrivains développant de longues théories – parfois un peu érigées en dogmes – ne peuvent-ils pas témoigner en tant que … cela reste à préciser !

    (JT - 20/05/2014 09:24)

    ( voir pour informations http://www.mediapart.fr/journal/france/190514/universite-antilles-guyane-des-subventions-siphonnees-grande-echelle)

    RépondreSupprimer
  3. Excellent Julius !
    Faut pas hésiter à se faire mal jusqu'à la douleur pour se dérouiller l'épaule sinon un jour tu finis les deux bras bloqués le long du corps et c'est pour le moins handicapant.

    RépondreSupprimer