dimanche 11 mai 2014

Procès de R. Alexis à Paris – 7ème jour : Gircour Vs Courroye



Une milice patronale ?



«    - Si ce n’était pas une bande de jeunes, comme vous le laissez entendre, alors, selon vous, de qui s’agissait-il ? m'interroge Philippe Courroye, l’avocat général.

-          Ce dont je vous ai parlé jusqu’à présent, ce sont des faits que j’ai pu vérifier. Les hypothèses qu’on peut en tirer, c’est du ressort de la police qui aurait ensuite dû chercher à les confirmer ou à les infirmer.

-          D’accord, mais vous, vous avez bien une idée, insiste l’ancien juge.

-          Si je reviens sur le SMS que je vous citais à l’instant(1), si je reprends en plus les propos d’Elie Domota en réaction à ce SMS, je me dis que la piste de la milice patronale est sans doute la plus sérieuse. Mais dans cette affaire, d’autres hypothèses sont envisageables. Il me semble par exemple que l’Etat est loin d’être au-dessus de tout soupçon. »


 Frédéric Gircour



Trop tard



Comme on ne m’interrompt pas, je développe ma pensée :

«  Il faut bien se replacer dans le contexte de l’époque.  L’Etat, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, avait fait le pari du pourrissement, persuadé que le mouvement se dégonflerait de lui-même. Quand il a compris que ce pari était perdu, qu’au contraire, plus le temps passait, plus la population était nombreuse à se mobiliser derrière les représentants du LKP, jusqu’à atteindre des proportions jamais vues en Guadeloupe, il était trop tard pour envisager une véritable répression. Et cela pour deux bonnes raisons : la première est que si d’aucuns critiquaient les fermetures forcées d’entreprises, tout le monde ou presque s’accordait à dire que les raisons ayant poussé au soulèvement étaient justes, que la pwofitation était bel et bien une réalité aux Antilles. On ne pouvait à ce stade reprocher de violences physiques au LKP. Il était malaisé donc, de réprimer un mouvement aussi populaire, d’autant plus qu’entre temps, et c’est là la deuxième raison, toute la presse papier et télévisée nationale était arrivée en Guadeloupe, que même Al Jazeera et CNN avaient des envoyés spéciaux sur place pour couvrir la plus longue grève générale jamais survenue sur le territoire de la République française ! Réprimer violemment un mouvement aussi massif et pacifique aurait été désastreux pour l’image du gouvernement et de la France. Les efforts du commandant Gabillard ont permis de franchir un premier pas en mettant un coup d’arrêt à la non-violence qui prédominait jusqu’alors.





Les violences des jeunes



Philippe Courroye ne réagit toujours pas, j’enchaîne donc :

-          Contrairement à ce qu’on a pu dire, après les violences policières du barrage de Poucet, le LKP n’a pas donné de signal à la jeunesse pour qu’elle enclenche les violences. Il n’en a pas eu besoin. Je vous ai dit tout à l’heure que le premier mois s’était caractérisé par une absence de violence physique de la part du LKP. Il n’empêche que dans les tous premiers jours du conflit social, des faits de violence avaient tout de même été à déplorer, notamment dans le quartier populaire de Lacroix : des poubelles avaient été incendiées durant la nuit, des coups de feu avaient même été échangés entre les jeunes de cette cité et la police. Le LKP avait alors dépêché des délégués sur place et ce sont eux qui avaient calmé les jeunes en leur demandant de les laisser faire les choses bien, en leur disant que la ligne pacifique payerait car le LKP avait pour lui la raison et la légitimité du nombre. Cette jeunesse sacrifiée, qui avait pourtant fortement envie d’en découdre, s’est laissée raisonner et le calme est aussitôt revenu. Mais après un mois de grève générale appuyée par une mobilisation d’une ampleur sans précédent par la population, la seule réponse tangible obtenue par les manifestants a été celle de la violence policière  au barrage de Poucet. Avec quel argument moral les délégués LKP auraient-ils pu tenter de convaincre ces jeunes  que seule la voie pacifique était à même de changer la nature de la situation qu’ils subissent ?




Sortir du statu-quo



Le 16 février a donc vu une explosion de violence répondre à la violence de la police.

La police s’est vite retrouvée débordée. Les pillages se multipliaient.  L’action du commandant Gabillard, loin de calmer le jeu, a donc jeté de l’huile sur le feu sans pour autant qu’une répression massive à même de mater la contestation ne soit encore envisageable devant toutes ces caméras braquées : les jeunes ne faisaient que s’en prendre à des biens matériels et le refus d’arriver à une solution négociée n’était clairement pas du fait des manifestants. Le conflit ne s’était que trop empêtré et on peut considérer qu’aussi bien pour le grand patronat que pour l’Etat, il était plus que temps de mettre un terme au statu-quo qui ne les avait que trop desservis. Mais pour cela, il fallait faire basculer le conflit dans autre chose que de simples attaques aux biens. Quelque chose qui, soit, dans le meilleur des cas, refroidirait tout le monde, soit déclencherait des violences aux personnes en retour, si graves qu’elles justifieraient là une sérieuse et réelle répression.




Circonscrire l’incendie à tout prix



A qui profite le crime ? La mort du syndicaliste a sonné, de fait,  un coup d’arrêt brutal au conflit. La pression et la mobilisation sociales sont retombées, les gens se sont dits que c’était allé trop loin, des accords de fin de conflit ont été signés à la va-vite qui ne devaient pas, dans l’ensemble, être respectés. Le gouvernement avait tout lieu de craindre, peut-être pas tant le LKP en lui-même, mais son exemple. De quoi parle-t-on ? On ne comprend rien au LKP si on s’imagine qu’il s’agit d’un parti ou d’un groupuscule. Non, le LKP c’est le rassemblement de toutes les forces progressistes de la Guadeloupe et en premier lieu de tous les syndicats de travailleurs, des plus modérés comme la CFDT ou la CFTC aux plus radicaux. Non seulement la Guadeloupe était en train de montrer que cette union était possible mais elle en faisait la démonstration au travers d’un mouvement social très ambitieux, avec une plateforme regroupant pas loin de 150 revendications. A l’époque où dans l’hexagone, les centrales syndicales se contentaient –déjà- de journées de grève de 24 heures, le LKP avait lancé un mouvement de grève illimité et médiatisation oblige, cela commençait à se savoir de l’autre côté de l’Atlantique, à en inspirer certains, à faire réagir les bases syndicales. On a tous vu dans les manifs en France les banderoles appelant à imiter le LKP. La contagion avait déjà gagné la Martinique, la Guyane, etc. Le gouvernement n’avait-il pas tout intérêt à circonscrire cet incendie d’une façon ou d’une autre avant que cela ne gagne l’hexagone où le contexte social était là aussi très difficile ? C’est une question qu’on ne peut éviter de se poser, en particulier quand on voit la façon dont ce même Etat a conduit l’enquête après le meurtre. »




Un doute


Philippe Courroye, m’ayant laissé parler tout ce temps sans m’interrompre brandit la déposition de Jimmy Lautric et en lit un premier passage. On demande au jeune homme s’il y avait des policiers aux alentours au moment où il s’est fait tirer dessus. Il répond que non, il n’en n’a pas vu. Oui, il en est sûr. Pour l’avocat général, cela démolit mon hypothèse selon laquelle, l’Etat aurait pu être derrière ça. 


 L'avocat général, Philippe Courroye © AFP Fred Dufour 

Je lui réponds que déjà, il a toujours déclaré ne pas avoir vu ceux qui lui ont tiré dessus puisqu’il était de dos, et enfin, je précise je n’ai jamais avancé que c’était des policiers en uniforme qui avaient pu faire ça. Changeant de sujet, il remet en question le fait que Lautric ait été touché par une balle brenneke. 

 Balle brenneke dans sa douille © Frédéric Gircour 

Je commence par réaffirmer pour commencer, que balle brenneke ou non, Bino et Lautric étaient de toute façon les deux seules victimes de balle létales que ce conflit ait fait, « il n’y a pas de doute à ce sujet.  Maintenant, vous avez raison, il persiste un doute quant au fait que ce soit bien une balle brenneke et je vais vous dire pourquoi. La balle était tellement puissante qu’elle a traversé de part en part la cuisse de Jimmy Lautric ; elle est donc ressortie. Lorsque le lendemain, la police a ratissé la zone, ce qui lui a permis notamment de retrouver les douilles des balles qui ont été tirées sur la voiture de Jacques Bino, comme par hasard, le périmètre des recherches s’est arrêté à quelques mètres de l’endroit où Lautric a été touché. On n’a donc jamais retrouvé ni la balle, ni la douille.




La preuve envolée


Comme je vous ai expliqué, Lautric a été opéré dès son arrivée, ce qui ne permettait donc plus de tirer des observations précises à partir de sa blessure. Toutefois, il y avait bien un élément qui aurait pu nous fournir de précieuses indications : son bermuda. Sans doute en avez-vous déjà parlé, la brenneke est une balle très spéciale puisqu’elle est équipée d’une ailette sur sa partie arrière, qui en vrillant aggrave les dégâts sur les chairs qu’elle traverse. Si la balle est bien une brenneke, comme tout le porte à croire, l’ ailette a laissé des traces particulières sur le tissu du short, loin de la perforation nette que pourrait produire une simple cartouche de chasse. Lorsqu’on leur amène des blessés par balle, les personnels hospitaliers ont des consignes précises. Au CHU de Pointe-à-Pitre, il existe un casier où les effets personnels de ces personnes sont consignés jusqu’à ce que la police vienne les saisir. Dans le cas de Jimmy Lautric, la réglementation a été suivie à la lettre et deux policiers en uniforme se sont présentés et ont récupéré ses affaires. Quand la mère de Jimmy a voulu à son tour les récupérer notamment parce qu’elles contenaient le portable de son fils, surprise, les policiers du commissariat de Gambetta à Pointe-à-Pitre ont affirmé ne jamais avoir eu ces affaires entre leurs mains. Elle a fait le tour de toutes les institutions policières de la région pointoise, le bermuda qui aurait pu établir qu’il s’agissait effectivement d’une balle brenneke avait purement et simplement disparu dans la nature…»




C’est impossible !


Philippe Courroye ne se laisse pas démonter et reprend la déposition de Jimmy Lautric où ce dernier explique qu’après avoir reçu la balle, il est parti en courant. 

«  - Monsieur Gircour, je suis chasseur et je connais très bien les balles brennekes, croyez-moi, quand un sanglier reçoit une balle brenneke dans la cuisse, il ne repart pas en courant. Il est impossible que Jimmy Lautric ait reçu ce type de balle et qu’il soit parti en courant

Patrice Tacita nous avait habitués à son numéro d’expert en carnaval, soutenant avec aplomb dès le premier procès que personne ne portait de gants pour jouer du tambour pendant les défilés (c’est en effet l’explication que Ruddy avait donné à la présence de gants noirs chez lui). Il a à nouveau tenu ces propos lors de ce deuxième procès, avant d’être démenti par toute une série de photos incontestables produites par maître Edmond-Mariette. Après Tacita l’expert ès-carnaval, voici donc Courroye qui s’auto-poclame expert es-brennekes. Je lui réponds :
«    - C’est vous qui le dites. J’ai longuement parlé avec Jimmy    Lautric, il m’a dit effectivement avoir fait quelques mètres en direction de la cité Henri IV avant de s’effondrer. Avec l’adrénaline, on accomplit parfois des choses étonnantes. En tout cas, j’ai vu sa blessure et tout ce que je peux vous dire, c’est que c’était un vrai carnage ! »
Le lendemain, sûr de lui, Philippe Courroye reviendra sur cette question avec l’expert en balistique, l’officier de la gendarmerie nationale Stéphane Helstroffer : 


« -          Monsieur Helstroffer, si une personne est touchée à la cuisse par une balle brenneke, peut-elle partir en courant ?

-          Une personne touchée par une balle brenneke au fémur va rester sur place confirme l’expert, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. En revanche, si l’os n’a pas été touché, si seul le muscle l’a été, alors oui, elle pourra se déplacer. » CQFD



FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

(1) Lire  Gircour Vs Tacita
 

1 commentaire:

  1. la stratégie de l 'UGTG était non seulement pourrie mais en plus, elle a été favorisée par le pouvoir .



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